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privilège et selon leur vœu, au droit commun. Ailleurs certains écrivains, ou notaires, étaient seuls admis à instrumenter, pour les prêts d’argent faits par les israélites. Le pouvoir revenait à son système antérieur, qui consistait à les mettre en coupe réglée, à les tondre et à les saigner, au lieu de les écorcher et de les pendre. C’était une chose fructueuse et si bonne à exploiter que le juif ! Chaque prince de la chrétienté cherche alors à en posséder le plus grand nombre. — Le roi de France n’avait-il pas acheté un jour à son frère, pour 20,000 livres, tous les juifs du comté de Valois ? — Les seigneurs qui en possèdent redoutent de les perdre : le roi d’Aragon permet à des juifs de Perpignan de se rendre en France, « où ils espèrent exercer le négoce avec plus de profit que dans ses terres ; » mais sous cette condition expresse de laissera Perpignan leurs femmes et leurs enfans, et des garanties suffisantes pour le paiement de leurs contributions, comme membres de l’Aljama de cette ville.

Ces alternatives continuèrent durant tout le XVe siècle : tantôt l’État allongeait, en faveur des Lombards, la durée légale de validité des dettes contractées auprès d’eux, en rendait la prescription plus difficile ; les officialités ecclésiastiques mettaient aussi leurs foudres à la disposition des usuriers, lançaient des formules d’injonction pour forcer les débiteurs à s’acquitter envers ces infidèles. Tantôt les gouvernemens condamnaient à l’exil perpétuel les tribus hébraïques, et la « juiverie » de chaque cité, hommes, femmes, enfans et bagages, déguerpissait tristement, par terre ou par eau, à la recherche d’un lieu plus hospitalier.

Ce n’était pas sans espoir de retour : rançonnant, rançonnés, volés ou voleurs, ces héroïques financiers ne se faisaient pas trop tirer l’oreille, pour racheter en masse les impôts spéciaux de capitation, qui pleuvaient sur eux ; quitte à se récupérer à leur tour sur le public. Étaient-ils accusés d’usure, ils pactisaient avec le pouvoir civil, qui bien souvent arrêtait ou paralysait lui-même les lois qu’il venait d’édicter.

Au XVIe siècle, les juifs sont atteints d’une autre manière, beaucoup plus sûrement : les chrétiens leur font ouvertement concurrence, et le commerce des métaux précieux s’élargit. Il n’est guère de petite ville, sous Louis XII, où les maîtres-joailliers ne fassent la banque et ne prêtent sur les bijoux ; tandis que dans les cités populeuses, à Lyon, Toulouse, Rouen (1543-1556), les institutions de crédit font leurs premiers pas sous l’œil bienveillant des souverains. Ceux-ci du reste sont les premiers à en profiter, à l’étranger plus encore qu’en France. A Anvers, le « facteur » du roi de Portugal contractait, pour le compte de son maître, un emprunt