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d’Amiens. Le rôle des Bourbons paraissait à jamais fini, et le cardinal semblait, je ne sais pour quels motifs, croire que « l’existence brillante » offerte à M. de l’Isle par Bonaparte comporterait un trône en Italie. De pareilles propositions ne devaient pas, d’après lui, rester sans réponse ou être rejetées sans examen. Cette désapprobation simplement indiquée dans sa lettre au roi, où elle est un peu noyée dans les éloges, il eut le loisir d’en déduire les raisons de vive voix en causant avec M. d’Avaray dans son palais épiscopal à Montefiascone. Le comte de Provence, informé par ce dernier des objections de Maury, ne blâma pas le cardinal, mais eut à cœur de lui expliquer les causes qui avaient entraîné sa décision. Aujourd’hui, bien des raisons allégués par le prince exilé nous semblent puériles : tant nous sommes loin des théories du droit divin et de la conception qu’on se faisait alors de la royauté légitime. Mais comment ne pas l’admirer, quand l’orgueil de son nom, de sa grandeur, de ses devoirs, inspire au chef de la maison de Bourbon des accens comme ceux-ci : « Je ne prétends pas nier notre détresse (Maury avait fait allusion à la misère et à l’abandon de la famille royale), ni que notre existence ne soit très agitée ; mais tout cela dure depuis longtemps, nous y sommes faits, nous y portons le témoignage d’avoir sans cesse travaillé à remplir notre devoir et, pour moi, cet état est plus effrayant à voir que difficile à supporter. » — Maury, en remerciant le roi de sa lettre, déclare a que ce nouveau chef-d’œuvre a porté la conviction la plus entière et la plus irrésistible dans son âme. » — « Quand, ajoutait-il, je penchais pour une négociation et pour un accommodement avec Bonaparte, je craignais dix ans de paix en Europe. L’Angleterre a compris qu’elle était perdue si elle laissait à la France le temps de se créer une marine… Tout est changé par sa sage déclaration de guerre. » — Ainsi écrivait Maury, mais telle n’était pas, au fond, sa pensée. Son sentiment intime perce dans une lettre qu’il adressait à son frère pour chercher à nouer des relations avec le cardinal Fesch, alors ministre de France à Rome, qui affectait de l’éviter. « Les uns montent toujours, dit-il, tandis que les autres s’enfoncent sans cesse. » Voilà le cri du cœur ! Maury n’était pas, comme Caton, l’homme des causes vaincues. L’ennui lui pesait. Le séjour de Montefiascone lui devenait odieux, comme autrefois celui de Lombez. Il ne pouvait souffrir d’être écarté des grandes affaires, exilé, annihilé. Ce qu’il eût souhaité, c’était d’être « le négociateur habile, chargé d’écouter ce qu’on avait à dire, » le courtier entre Louis XVIII et Bonaparte, — admirable rôle, qui lui eût permis de concilier la faveur de l’un avec celle de l’autre. Comment expliquer autrement son attitude dans une