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embarrassant : il sait que M. de l’Isle les pousse à la résistance ; mais son bon sens le détourne de les engager dans la voix du schisme. Il imagine de leur conseiller de se concerter tous entre eux pour adopter d’un commun accord la même attitude. C’est moins compromettant. Cependant le gouvernement français ne le perd pas de vue. En avril 1801, Talleyrand, ministre des affaires étrangères du Directoire, avait chargé Cacault de témoigner au pape son étonnement que « Sa Sainteté n’ait pas encore éloigné de sa personne un des ennemis les plus acharnés de la France. » Depuis ce moment, il a dû abréger de plus en plus ses séjours à Rome. En 1802, il est même invité à rester à Montefiascone. C’est un exil qu’en apparence il supporte courageusement : « Cette nouvelle persécution que je m’honore de mériter, écrit-il à M. de Thauvenay, ne me dégoûte pas le moins du monde de la cause pour laquelle je suis heureux de souffrir en lui sacrifiant tous mes intérêts. » Mais ne voit-on pas à travers ces protestations percer le dépit ? L’homme dévoué à une cause jusqu’à être heureux de souffrir pour elle ne se vante pas des sacrifices qu’elle lui impose. Il n’y songe même pas.

A partir de ce moment, les dépêches de Maury sont plus rares. Son rôle commence visiblement à le lasser. Pour citer un mot brutal qu’il a prononcé plus tard, justement à propos des Bourbons, il avait perdu la foi et l’espérance, il ne lui restait que la charité. Cet état d’esprit explique son attitude dans le dernier incident auquel il se trouva mêlé comme agent et confident du comte de Provence. En 1803, le premier consul, qui avait rendu la paix à la France, eut l’idée de demander aux Bourbons une renonciation à leurs droits. On sait que le gouvernement prussien, qui donnait asile au prétendant, voulut bien assumer le rôle délicat d’intermédiaire. Le président de la régence de Varsovie, M. de Meyer, fut chargé d’offrir au comte de l’Isle, au nom du premier consul, « des indemnités et même une existence brillante. » La réponse fut un refus, conçu en termes très nets et très dignes, terminé par ces mots : « Successeur de François Ier, je veux du moins pouvoir dire comme lui : nous avons tout perdu, fors l’honneur. » Le chef de la maison de Bourbon, dont la noble attitude reçut aussitôt l’approbation de tous les princes du sang, confia le détail de cette affaire à « la fidélité et à la discrétion de M. le cardinal Maury. » La réponse de ce dernier est bien curieuse. Sans oser blâmer son roi, il ne cacha pas son regret qu’on n’eût pas du moins ouvert des pourparlers avec Bonaparte, en chargeant un « négociateur habile » d’écouter ce que le premier consul avait à dire. On était alors dans la trop courte période qui a suivi la paix