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de Mittau au printemps de l’année 1800. Non-seulement Pie VII, mais aussi le tsar Paul venaient de reconnaître Louis XVIII. L’agent à Saint-Pétersbourg du prince fugitif, M. de Caraman, était reçu à la cour impériale comme ministre de France. Le comte de Provence comptait aussi que le cardinal Maury serait admis officiellement au même titre auprès d’un pape qui venait de lui donner une preuve de haute déférence. Il s’imaginait que, par le seul prestige de son nom, il jouerait son rôle dans la politique européenne. Cet état d’esprit se trahit dans les instructions adressées à Maury, qui étaient rédigées dans le plus noble style de la diplomatie de Versailles : — « La mission que je confie à M. le cardinal Maury, écrivait le frère de Louis XVI, n’est pas en ce moment très importante du côté de la politique générale. Elle l’est infiniment plus du côté de la religion. » — Et Maury était invité à demander au pape de remettre en vigueur le concordat de François Ier, de nommer des cardinaux de couronne, bref d’agir comme si la monarchie française n’eût pas subi la plus légère atteinte. Il devait, en outre, proposer la médiation du « roi de France » pour amener le saint-siège à reconnaître l’empereur schismatique de Russie comme grand-maître de l’ordre de Malte. Le comte de Provence espérait par ce moyen gagner définitivement à sa cause le tsar dont il était l’hôte et le pensionnaire.

Tout à coup une grande nouvelle éclate en Europe. Le premier consul de la république française a franchi les Alpes. Les Autrichiens, battus dans une première rencontre à Montebello, sont écrasés à Marengo. Le fruit des victoires de Souvarow est perdu. L’Autriche évacue le nord de l’Italie. Les patriotes saluent comme un sauveur le fondateur de la république italienne. Et le poète Monti chante, aux applaudissemens de tous, la gloire de celui qui lui rouvre les portes de la patrie :


Bella Italia, amate sponde
Pur vi torno a riveder.
Trema in petto e si confonde
L’alma oppressa dal piacer.


Une conséquence de la bataille de Marengo lut l’évacuation de Rome par les troupes napolitaines. Le saint-père put se rendre dans sa capitale, où le peuple le reçut avec cet enthousiasme facile qu’il avait prodigué successivement aux Français et aux Napolitains. Maury suivit le souverain pontife à Rome ; mais il ne tarda pas à comprendre qu’on refusait absolument de le reconnaître comme ambassadeur de France. Et, bientôt, il eut à mander à la cour de Mittau une grave nouvelle. Laissons-lui la parole : —