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En 1769, l’abbé Maury, déjà connu dans le monde des lettres, reçoit les ordres majeurs. A peine prêtre, il est appelé par M. de Fénelon, évêque de Lombez, aux fonctions de grand vicaire. C’était la vie matérielle assurée, une existence tranquille et large, avec des loisirs pour le travail. Mais c’était l’obligation de quitter Paris, c’était la vie ecclésiastique de province, dans toute son austérité. L’ennui, chez les Français, dit quelque part Stendhal, au lieu de chercher des consolations dans l’étude, aime mieux se distraire et se dissiper dans la conversation. Maury était, à cet égard, un vrai Français. Ses amis de Paris, ses relations lui manquaient cruellement. Lombez lui devint promptement un exil, le vieux palais épiscopal, où il demeurait, une prison. Cet ennui l’eût conduit peut-être à quelque fâcheux éclat, si une circonstance imprévue ne l’eût inopinément arraché à ses fonctions administratives. — L’usage était en ce temps-là que chaque année l’Académie française, réunie dans la chapelle du Louvre, le jour de la fête du roi, entendît un panégyrique de saint Louis. Maury qui, en 1771, avait obtenu une mention honorable pour l’éloge de Fénelon, fut désigné pour prêcher ce panégyrique en 1772. C’était un coup de fortune. Il revint à Paris et se mit au travail pour élaborer l’homélie de laquelle allait dépendre son avenir. Un point le gênait. Dans l’éloge de Charles V, il avait mal parlé des croisades. On ne l’avait pas oublié et on se demandait ce qu’il en dirait à propos de saint Louis. La conjoncture était délicate. Il prit le parti du fier Sicambre et composa sur les croisades un morceau de bravoure terminé par ce cri éloquent : « Eh ! messieurs, où en serions-nous sans les croisades ? » Le succès fut complet. Les juges les plus sévères ne ménagent pas les louanges. Le baron de Grimm annonce aux cours du Nord que l’orateur a du style. Voltaire déclare qu’il donne presque envie de voir une croisade. De ce jour, la réputation de l’abbé Maury est assise. L’Académie le prend sous sa protection. Elle députe trois de ses membres au cardinal de La Roche-Aymon, tenant la feuille des bénéfices, pour le recommander à son éminence. Bientôt une première abbaye lui assure le nécessaire. D’autres lui donneront ensuite le superflu. Puis il est nommé prédicateur du roi.

Alors commence pour le jeune Comtadin, marchant à l’assaut de la gloire, la série des années heureuses. Très fêté dans le monde des lettres, recherché dans l’aristocratie, admis à la cour, aucun genre de succès ne lui est étranger, tout lui réussit. Ses sermons à la cour n’existent plus. Il les a brûlés de ses propres mains en 1800, dans un moment de ferveur, ne voulant plus se souvenir d’un temps où, disait-il, « on n’osait pas