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métaphysique, on est tout aussi autorisé à soupçonner les psychologues objectifs qui n’admettent pas, même avec Spencer, une psychologie subjective, de ne soutenir cette thèse que dans l’intérêt prémédité du matérialisme. Dès lors le soupçon étant le même de part et d’autre, pourquoi ne pas se rejeter des deux côtés ? et pourquoi ne pas se borner à l’examen des choses telles qu’elles sont ? Or cet examen nous apprend, comme le dit M. Spencer, deux vérités indubitables : 1o la psychologie subjective est une science indépendante de toutes les autres ; 2o la psychologie objective emprunte toutes ses données à la psychologie subjective.

Quoi qu’il en soit, soit qu’on sépare, soit qu’on réunisse les deux parties de la psychologie, nous admettons qu’il y a en effet deux psychologies : l’une qui se fait par la conscience, l’autre par l’observation des autres hommes, et qui, selon l’expression de Comte, étudie les facultés dans leurs organes et leurs résultats ; mais relativement à cette psychologie objective, nous ferons deux observations. La première, c’est qu’il n’est pas légitime à cette psychologie objective ou physiologique de se qualifier elle-même de nouvelle psychologie, tandis qu’on affublerait la psychologie subjective de la qualification de vieille psychologie. Ces épithètes sont injustes et antiscientifiques ; elles ont pour objet de surprendre la faveur de ceux qui ne réfléchissent pas, en usurpant les avantages du progrès et de la nouveauté. Il importe sans doute assez peu qu’une science soit ancienne ou nouvelle, pourvu qu’elle soit vraie. Mais, de plus, ces qualifications sont inexactes. Les deux psychologies existent concurremment depuis longtemps. Le XVIIe siècle a parfaitement connu la physiologie objective. Le Traité des passions est par moitié un traité de physiologie. Descartes expliquait les passions par le mouvement des esprits animaux ; Malebranche expliquait la mémoire et l’imagination de la même manière et l’on pourrait retrouver textuellement dans Malebranche les explications récentes données sur la mémoire. Bossuet, dans la Connaissance de Dieu et de soi-même, traite d’abord de l’âme, puis du corps, puis de l’union de l’âme et du corps, et s’étend longuement sur les lois physiologiques des sensations : il a en outre un chapitre sur la psychologie des animaux. Au XVIIIe siècle, Charles Bonnet et Hartley ont commencé à parler de vibrations nerveuses comme phénomènes concomitans des pensées. Même l’école écossaise a constamment mêlé dans ses analyses la physiologie à la psychologie. Dans les Recherches sur l’entendement humain, de Thomas Reid, se trouve un chapitre sur la géométrie des visibles, un autre sur le strabisme, un autre sur le mouvement parallèle des yeux. Pour remonter plus haut, la psychologie humaine, dans Aristote, est une partie de