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compétiteurs, s’il est permis d’ainsi parler, en ayant l’air de ne s’occuper que d’une question de méthode, passe à une question finale dont nul ne consent à se désintéresser, et craint que l’autre parti ne prenne des avantages pour la solution de cette question. D’un côté, en effet, l’école matérialiste craint que si elle accorde à l’avance une existence indépendante à la science subjective, ce ne soit une concession de fond, et une sorte d’engagement en faveur de l’existence indépendante de l’esprit. De l’autre côté, les spiritualistes craignent qu’en accordant l’inséparabilité des phénomènes nerveux et des phénomènes intellectuels et moraux, ce ne soit accorder par anticipation la dépendance de l’esprit à l’égard de la matière, et même la substantialité de la matière à l’égard de l’esprit.

Pour ce qui est du premier point, nous nous contenterons de rappeler les précautions extrêmes avec lesquelles Jouffroy, dans sa célèbre préface, a essayé de séparer le problème psychologique du problème métaphysique. Ces précautions lui ont été assez durement reprochées par les théologiens pour qu’il ait au moins l’honneur de n’avoir point sacrifié un intérêt scientifique à un intérêt de dogme. « Assurément, disait-il, cette question de l’âme est fort importante en elle-même ; mais, quelque solution qu’on lui donne, ce que nous nous sommes proposé dans ce discours n’en restera pas moins vrai. Soit, en effet, que l’on admette une âme, soit que l’on rapporte au cerveau les phénomènes que ses partisans lui attribuent, il n’en est pas moins indispensable, si l’on veut connaître complètement la nature humaine, de faire la science des phénomènes de conscience… A quelque principe que puissent se rattacher ces faits, ils n’en sont pas moins ce qu’ils sont. La science de ces faits et de leurs lois est donc parfaitement indépendante de la solution dont il s’agit… D’ailleurs, il n’est pas moins évident que, dans l’état actuel de cette science, cette question est prématurée. »

Il est permis de penser que Jouffroy est allé trop loin en disant que le problème de l’âme est un problème prématuré. Il ne l’est pas plus que les autres problèmes de la métaphysique. Si, d’ailleurs, ce problème est actuellement prématuré, on peut dire qu’il le sera toujours ; et entre prématuré et insoluble, il n’y a pas grande différence. Il n’en est pas moins vrai que la question de l’âme peut être écartée et ajournée d’un commun accord, et que l’on peut soutenir les droits d’une psychologie subjective sans violer les lois de la neutralité scientifique.

Que si, du reste, on soupçonne les psychologues subjectivistes de travailler subrepticement pour l’intérêt du spiritualisme