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la prétention de l’une de ces sciences à se substituer à l’autre. Dans cette première phase de la question, l’indépendance et même l’existence de la psychologie subjective est absolument niée, et la seule méthode reconnue est celle qui étudie les facultés humaines dans leurs organes et dans leurs résultats. Cette première phase est représentée par Auguste Comte, et elle est presque contemporaine des revendications de Jouffroy en faveur de la psychologie subjective. Mais depuis cette époque, l’objet de la discussion s’est déplacé et la question s’est circonscrite sur un terrain plus limité. On ne conteste plus comme Auguste Comte la possibilité de l’observation subjective ; on ne nie plus la différence d’une psychologie humaine et de la psychologie animale ; mais on affirme que les phénomènes mentaux étant toujours liés à certains phénomènes objectifs, à savoir les phénomènes nerveux, la psychologie ne peut pas être exclusivement la science des phénomènes subjectifs, mais qu’elle doit être concurremment et inséparablement la science des faits subjectifs et objectifs à la fois. De là la formule suivante qui établit autrement qu’on ne le faisait auparavant l’objet et les rapports des deux sciences, a Le processus nerveux à simple face, dit M. Ribot, dans l’introduction de son livre sur la Psychologie allemande, appartient au physiologiste ; le processus nerveux à double face appartient au psychologue. » Cette doctrine est celle de M. Taine en France et de M. Herbert Spencer en Angleterre.

Cette manière de poser la question est beaucoup plus fine, beaucoup plus savante et plus philosophique que la doctrine d’Auguste Comte ; mais on voit que, même si on acceptait par hypothèse cette position de la question, la psychologie subjective aurait conservé encore une bonne partie de ses positions. Au lieu d’être totalement éliminée, comme elle aurait dû l’être par les objections de Broussais et de Comte, elle resterait au moins la moitié de la science de l’homme ; elle en représenterait la face interne, tandis que la physiologie étudierait en même temps la face externe. Ce ne seraient plus, si l’on veut, deux sciences séparées ; ce seraient cependant encore deux points de vue distincts, et la distinction de ces deux points de vue serait encore une distinction fondamentale et de premier ordre. C’est cette vérité qui reste la base de la psychologie et sans laquelle on ne sait plus ni ce qu’on dit ni de quoi l’on parle.

Au reste, le philosophe de nos jours qui a le plus défendu le principe précédent (à savoir l’union inséparable des deux faits, mental et nerveux), et qui a fait de ce qu’il appelle la correspondance la base de sa psychologie, M. Herbert Spencer, a maintenu lui-même, nous l’avons dit, la distinction des deux points de vue avec la même rigueur qu’avait fait Jouffroy. Voici comment