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plaidé, car les registres du Parlement ne le mentionnent pas. Mais on le prit en considération, et la peine de Villon fut transformée en bannissement. Il devait vider Paris sur l’heure. Là Villon se retrouva poète. Il remercia le Parlement par une ballade où ses cinq sens étaient chargés de rendre grâces pour la vie qu’on leur avait donnée. Dans l’envoi, il demandait trois jours pour se pourvoir, dire adieu aux siens et les prier de lui donner un peu d’argent. Pour Étienne Garnier, il le raille finement :


Que vous semble de mon appel,
Garnier ? feis-je sens ou folie ?
Cuidlez-vous que soubz mon cappel
Y eust tant de philosophie,
Comme de dire : « J’en appel ? »
S’y avoit, je vous certiffie,
Combien que point trop ne m’y fie.
Quand on me dit, présent notaire :
« Pendu serez ! » je vous affie,
Estoit-il lors temps de me taire ?


C’est grâce à cette pièce que l’on peut fixer la date de la condamnation de Villon. Étienne Garnier était geôlier de la Conciergerie en 1453. Mais, le 10 février 1456, il était remplacé par Jean Papin, qui garda ces fonctions jusqu’en l470. Dans un des bons manuscrits du Grand Testament (celui qui appartint au président Fauchet), la Ballade de l’Appel avait pour titre : la Question que fit Villon au clerc du guichet. Garnier, à qui s’adressa Villon, est donc bien Étienne Garnier. Seulement il faut que la condamnation de Villon soit antérieure à février 1456. Comme il était à l’Université en 1452, et que son seul crime, suivant les lettres de rémission de janvier 1455, était le meurtre de Philippe Sermoise, on est amené à conclure qu’il fut condamné à être pendu et banni pour cette affaire de juin 1455. D’ailleurs la seconde lettre de rémission mentionne le bannissement. L’histoire ainsi rétablie fait voir la célèbre Ballade des Pendus sous un jour différent. Le titre disait que Villon la fit pour lui et ses compagnons, s’attendant à être pendu avec eux. Parlant du haut du gibet de Montfaucon, Villon criait :


Vous nous voiez cy atachez cinq, six.


Comme Villon commit plus tard des crimes d’association, il était facile d’imaginer qu’il parlait au nom de plusieurs condamnés. Mais