Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

estrade élevée, de façon à être vu de tous ; à ses côtés un autre homme est debout armé d’un grand accordéon. Le moniteur donne le signal, non en commandant le mouvement, mais en l’exécutant lui-même, et aussitôt toute l’assistance l’imite et l’accordéon l’accompagne en jouant soit un air de valse, soit une polka, une mazurka. C’était pour un Français un spectacle assez nouveau que de voir ces hommes attentifs, les yeux fixés sur le maître dont ils imitaient strictement tous les gestes, levant brusquement les bras, lançant les jambes, s’accroupissant, se relevant, s’efforçant, toujours avec une imperturbable gravité, d’accommoder leurs mouvemens au rythme parfois assez folâtre de l’instrument. Je ne saurais dire si l’exercice était ainsi rendu très amusant pour les gymnastes, mais il était sûrement assez divertissant pour le spectateur et j’eus quelque peine à garder le sérieux voulu. Ce qui me frappa le plus, pourtant, ce ne fut pas le côté comique d’une manière de faire qui n’est pas dans nos mœurs, mais qui semble après tout, très bien acceptée par nos voisins, ce fut surtout cette sorte d’aveu naïf du besoin qu’éprouvaient ces hommes d’ajouter à leur exercice un élément récréatif.

L’exercice récréatif par excellence, c’est le jeu. Cette gymnastique naturelle porte avec elle un attrait qui anime les plus indifférens et donne de l’entrain aux plus flegmatiques. Aussi quel contraste entre les écoliers soumis au régime des jeux et ceux auxquels est imposée la gymnastique systématique, entre les écoliers anglais, par exemple, et les nôtres ! En France, tout le monde le déplore, nos enfans semblent avoir l’horreur du mouvement. Abandonnés à eux-mêmes, on les voit, au sortir de la salle d’étude, se promener lentement par couples, ou bien se grouper et stationner dans quelque coin de la cour. Et le temps se passe à causer, à « philosopher. » À certains jours et à certaines heures, il est vrai, la gymnastique est obligatoire ; mais, si l’on assiste à la leçon, on sera frappé de voir qu’à peine quatre ou cinq élèves sur trente exécutent consciencieusement leurs exercices. Les autres se présentent à tour de rôle à chaque engin, mais ébauchent à peine le mouvement ; le professeur les soulève, les pousse et travaille pour eux ; ils regagnent leur place après avoir fait un simulacre d’effort. Dans les collèges de l’Angleterre, aucun règlement ne rend l’exercice obligatoire, chacun est libre de s’en dispenser ou d’en prendre à sa volonté. Mais tous s’y livrent avec une incroyable ardeur. Faibles et forts, jeunes écoliers ou étudians de vingt ans, tous montrent une passion égale pour ces jeux de plein air, aujourd’hui délaissés en France, et auxquels la gymnastique s’est si malencontreusement substituée. Il faut, pour se faire idée de