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Il n’est pas d’organe dans l’économie humaine dont l’évolution soit plus tardive et plus lente que celle du cerveau : à une période de la vie où tous les autres sont en voie de déchéance, le cerveau se perfectionne encore et acquiert des aptitudes nouvelles. Mais, par une conséquence toute naturelle de la lenteur de ce développement, il arrive plus tardivement que les autres en possession de toute sa force. Les muscles, par exemple, à dix-huit ans, sont déjà mûrs, et capables des efforts les plus intenses, alors que le cerveau doit encore gagner dans sa structure ces mystérieux perfectionnemens, qui se traduisent dans la vie intellectuelle par une plus grande puissance de pensée, et, dans la vie physique, par une plus grande résistance aux maladies.

Le cerveau, chez l’enfant et chez le jeune homme, est donc en voie de formation et ne peut impunément subir les efforts intenses et prolongés que supporterait le cerveau d’un adulte. Or la mesure de l’effort cérébral est donnée, on le sait, par l’intensité de l’attention. Et quel homme de trente ans, même le plus entraîné au travail intellectuel, pourrait soutenir un effort continu d’attention pendant douze heures chaque jour ? C’est cependant, d’après le rapport d’une commission chargée d’étudier les améliorations à introduire dans notre régime scolaire, le temps durant lequel nos écoliers sont tenus chaque jour en classe ou à l’étude. Il est impossible que ce temps soit utilisé en totalité. — « Une telle contrainte d’efforts intellectuels étant presque impossible, dit, dans son rapport à la commission ministérielle, M. Edouard Maneuvrier[1], et la somme d’attention soutenue dont l’enfant le mieux doué est capable étant fort au-dessous de la limite réglementaire, on produit la lassitude et l’ennui sans obtenir plus de travail utile. Par ces excès, on compromet en quelque sorte la discipline en la rendant oppressive, et on justifie la dissipation en la rendant nécessaire. » — On peut évaluer que, sur les douze heures de travail réglementairement imposées à l’enfant, un tiers, au moins, est perdu pour l’étude. Ce sont trois ou quatre heures employées à causer en cachette, à rêver, à tracer sur la marge des livres des arabesques et des « gribouillages. » Or, ces longues heures perdues pour le travail intellectuel et passées dans l’immobilité sont la véritable cause des maladies et des défectuosités physiques signalées par tous les observateurs comme résultant de la vie trop sédentaire faite à l’écolier.

Le surmenage intellectuel n’est pas le seul mal que prétendent

  1. Edouard Maneuvrier. Rapport à la commission chargée d’étudier les améliorations à introduire dans l’enseignement secondaire.