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la médiocrité des choses et la banalité des relations. Ce qui a été plaisirs proprement dits, aux heures de mon printemps, ne m’a point laissé de bons souvenirs et ma mémoire n’aime pas à les évoquer, car je sais aujourd’hui ce que j’ignorais alors. Dans ma bonne foi encore imberbe, j’étais persuadé que je ne cherchais qu’à me divertir ; mais à cette heure où l’ensemble de ma vie m’apparaît, où j’en puis relever les étapes et compter les relais, je reconnais que, pendant l’époque qui suivit la fin de mes classes et précéda mon entrée dans l’existence réelle, mes plaisirs, ou ce que l’on appelait ainsi, eurent surtout pour mobile un sentiment peu recommandable : la vanité. La vanité irraisonnée du jeune homme qui ne s’est pas encore complètement débarrassé des gangues de l’enfance, qui ne sait rien de la vie, n’en apprécie que la surface et se prend aux apparences où il voit des modèles qu’il brûle d’imiter.

L’écueil est périlleux ; je n’y ai pas sombré, mais je m’y suis heurté et j’en ai conservé quelque rancœur contre moi-même. S’afficher en certaines compagnies, non point parce que l’on s’y plaît, mais parce qu’elles sont suffisamment mauvaises pour flatter l’amour-propre des novices et des niais ; rivaliser de sottises avec les plus futiles et d’extravagances avec les plus frivoles ; outrer les modes, par conséquent, les ridicules de son temps ; s’astreindre à des lieux de promenade, à des spectacles, à des façons d’être réglés, déterminés par un engouement inexplicable ; ne vouloir dîner qu’en tel endroit, parce que c’est de bon ton ; ne consentir à occuper que telle place au théâtre, parce que « c’est bien porté ; » en vérité, ce n’est pas là « s’amuser, » comme il convient à la franche jeunesse ; c’est jouer un personnage, c’est faire l’important au détriment de sa propre satisfaction, c’est exciter les quolibets de ceux dont on cherche à se faire admirer, c’est être un sot. Je l’ai été, pas bien longtemps, mais assez pour m’en vitupérer lorsque j’y pense.

Plus d’une fois je me suis senti subitement rougir, lorsqu’un soubresaut de ma mémoire me rappelle quelque sottise de ma vingtième année. Il m’arrive d’en sourire, le plus souvent j’en reste confus et mal à l’aise : est-il possible que j’aie été aussi nigaud ? Toute cette période m’apparaît alors comme une sorte de bal masqué que j’aurais traversé avec un faux costume, un faux nez, de faux sentimens et surtout de fausses sensations. A cet âge l’équilibre mental est-il complet ? Pour beaucoup Ton en peut douter. Dans l’exubérance même de la jeunesse il y a souvent plus qu’un grain de déraison. Et cependant est-il donc si digne de blâmer le bachelier qui, son diplôme en poche, s’imagine qu’il