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ou ses fautes, non point par le groupe au milieu duquel il vit, mais par Celui auquel un mot a suffi pour créer le ciel et la terre. Cette conviction s’est emparée des esprits. Les croyans les plus convaincus d’une vie future et rémunératrice la subissent, s’y soumettent et font des actes de contrition et de charité, afin d’éloigner un malheur qu’ils redoutent ou de recevoir une faveur qui leur sera précieuse. Encore à cette heure, comme au temps de Jérémie, les plaies dont sont frappés les peuples ne sont que l’expiation de leurs péchés. Je me rappelle qu’en 1849, pendant que le choléra multipliait ses meurtres à Paris, on a prêché que l’épidémie était la punition de la révolution de février. Couramment on disait : C’est la main de la Providence !

Pour ce qui lui paraît inexplicable, l’homme fait intervenir la puissance mystérieuse d’où tout émane, c’est pourquoi il a sans cesse le nom de Dieu sur les lèvres et c’est pourquoi de toute région, en tout idiome, à tout instant, un flot de prières monte vers le ciel. Prières vaines, a-t-on dit ; il se peut ; la question est redoutable et je ne me permettrai point de la traiter. Il m’est indifférent de passer pour un esprit faible, mais j’estime que si la prière n’atteint pas celui à qui elle s’adresse, elle n’en est pas moins bienfaisante pour celui qui prie ; ne serait-elle que le moteur de l’espérance, elle est respectable et c’est être cruel que d’en démontrer l’inefficacité. La bonne femme qui fait brûler un cierge et s’agenouille devant l’autel se relève plus vaillante et rassérénée. L’existence est si fertile en infortunes qu’il faut conserver à l’homme tout ce qui peut l’aider à la supporter, fût-ce une insoutenable superstition. Les simagrées des derviches à Constantinople et au Caire ne m’ont point fait sourire ; à Jérusalem, les lamentations des Juifs pleurant la tête appuyée sur les substructions du temple m’ont attendri, et, dans le désert, je cessais de fumer lorsque mes chameliers priaient, prosternés dans la direction de la Caaba.

Tout ce qui fait du bien à la créature humaine, tout ce qui la soulage en ses misères, tout ce qui est comme une étape de repos sur son dur chemin est digne de respect et ne doit jamais être raillé. Il est facile de nier Dieu, mais on ne l’a pas encore remplacé dans les cœurs de ceux qui ont besoin d’y croire ; la raison ne satisfait que le raisonnement et le raisonnement est impuissant contre la souffrance et le désespoir. De telles opinions ne sont point celles d’un philosophe, je m’en doute bien et ne saurais m’en affliger, car la philosophie n’est peut-être qu’un exercice agréable à ceux qui en ont le goût. Apprend-elle à vivre, apprend-elle à mourir ? Je ne sais ; à coup sûr elle apprend à discuter, ce qui est une bonne ressource le soir, en hiver, au coin du feu.