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chez eux : médecine, astronomie, géométrie, mathématiques, ils avaient tout approfondi avec une telle perspicacité que, pour si peu que l’on s’en éloignât, on sombrait dans l’erreur : aux jours mêmes où un souffle de vitalité a passé sur l’Europe, où elle secoue sa torpeur, où l’Amérique est découverte, où l’imprimerie apporte à la réforme de Luther une force d’expansion extraordinaire, à l’heure où tant de voiles sont déjà déchirés, cette passion du « jadis » subsiste avec énergie ; elle est le support de l’iniquité et provoque des niaiseries criminelles ; c’est sur la parole d’un ancien que Galilée est condamné. Ce qui n’a pas empêché la cosmologie de faire les progrès que l’on sait, car, elle aussi, elle se meut.

Le regret du passé, à tous les degrés, est instinctif à l’homme ; je n’ai point la prétention d’échapper au sort commun, moi aussi je regarde avec émotion vers les jours écoulés ; j’écoute leur murmure qui berce le crépuscule de ma vie, car je suis en plein cours de vieillesse ; j’espère que l’arrêt sera subit et que je n’aurai point à descendre, échelon par échelon, jusqu’aux ténèbres de la caducité ; j’en ai assez de mon enfance, je n’y voudrais pas retourner. La mort enviable, c’est celle qui, en passant, a touché le général Chanzy, que j’aimais d’une si haute affection et qui portait au cœur un prodigieux amour de la France. Un matin, on l’a retrouvé souriant, la tête sur l’oreiller : déjà il était froid. Il n’a eu ni le déclin, ni l’angoisse, ni les affres. On dirait que cette fin subite et calme a été la récompense de son admirable existence ! Elle est odieuse, la mort, lorsqu’elle frappe certains êtres d’élite que leurs qualités auraient dû rendre immortels ; mais en elle-même, elle n’a rien de redoutable. Elle m’apparaît sous forme d’une horizontalité blanche qui est la détente des efforts accumulés, le repos sans rêve, la sérénité que rien ne troublera, ni le regret de la veille, ni l’inquiétude du lendemain. Les anciens ne semblent guère s’en être effrayés, eux qui ont dit : « Celui qui meurt jeune est aimé de Dieu. » On ne saurait trop se répéter la parole du Tasse mourant : « Si la mort n’était pas, il n’y aurait, au monde, rien de plus misérable que l’homme. »

Ce qu’il y a de laid dans la mort, ce qu’il y a de malpropre, c’est l’appareil dont elle s’entoure, c’est le cortège qui l’accompagne. Ce n’est pas la fin qui est pour faire reculer, c’est ce qui la précède, c’est la lente décomposition de la matière, c’est la souffrance agissant comme un tortionnaire qui prolongerait le supplice pour se divertir ; c’est l’agonie qui dure non-seulement pendant des heures, mais pendant des jours, parfois pendant des semaines. Là est l’iniquité suprême : la physiologie l’explique, la science la commente, la raison se refuse à la comprendre et plus d’un cœur en est