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enfans, de leurs intérêts, de ses propres besoins, il est suspect, il n’est pas bon juge ; l’État a plus de lumières et de meilleures intentions que lui. Par conséquent, l’État a le droit de le contraindre, et, d’en haut, de Paris, l’État, en fait, le contraint. Comme autrefois, en 1793, les législateurs ont opéré d’après le procédé jacobin, en théoriciens despotes : ils ont dessiné dans leur esprit un type uniforme, universel et simple, celui de l’enfant de six à treize ans, tel qu’ils le souhaitent, sans raccorder l’instruction qu’ils lui imposent avec la condition qu’il aura, abstraction faite de son intérêt positif et personnel, de son avenir prochain et certain, exclusion faite du père, seul juge naturel et mesureur compétent de l’éducation qui convient à son fils et à sa fille, seul arbitre autorisé pour déterminer la quantité, la qualité, la durée, les circonstances, les contrepoids de la manipulation mentale et morale à laquelle ces jeunes vies, inséparables de la sienne, vont être soumises hors de chez lui. — Jamais, depuis la Révolution, l’État n’a si fort affirmé son omnipotence, ni poussé si loin ses empiétemens et son intrusion dans le domaine propre de l’individu, jusqu’au centre même de la vie domestique. Notez qu’en 1793 et 1794 les plans de Lepelletier de Saint-Fargeau et de Saint-Just étaient restés sur le papier ; celui-ci, depuis dix ans, est entré dans la pratique.

Au fond, le jacobin est un sectaire, propagateur de sa foi, hostile à la foi des autres. Au lieu d’admettre que les conceptions du monde sont diverses et de se réjouir qu’il y en ait plusieurs, chacune adaptée au groupe humain qui la professe et nécessaire à ses fidèles pour les aider à vivre, il n’en admet qu’une, la sienne, et se sert du pouvoir pour lui conquérir des adhérens. Lui aussi, il a ses dogmes, son catéchisme, ses formules impératives, et il les impose. — Désormais[1] l’éducation sera non-seulement gratuite et obligatoire, mais encore laïque et purement laïque. Jusqu’ici, la très grande majorité des parens, la plupart des pères et toutes les mères avaient souhaité qu’elle fût en même temps religieuse. Sans parler des chrétiens convaincus, beaucoup de chefs de famille, même tièdes, indifférens ou sceptiques, jugeaient que cette mixture valait mieux pour les enfans, surtout pour les filles. Selon eux, la science et la croyance ne doivent point entrer séparées, mais combinées et en un seul aliment, dans les très jeunes esprits ; du moins, dans le cas particulier qui les concernait, cela, selon eux, valait mieux pour leur enfant, pour eux-mêmes, pour la discipline intérieure de leur

  1. Lois du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886.