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Le lendemain 19 octobre, les commandans des cinq corps d’armée firent leur rapport. Trois déclarèrent que leurs généraux étaient disposés à les suivre et répondaient de leurs hommes ; les deux autres furent beaucoup moins affirmatifs ; ils regardaient comme une imprudence grave l’épreuve qu’on voulait tenter ; l’échec n’entraînerait rien de moins que la division, le déchirement de l’armée. Devant ces déclarations contradictoires, on hésitait, les chances tournaient contre l’épreuve. Tout à coup, le général Changarnier réclama la parole. C’était la première fois qu’on le voyait au conseil ; comment y était-il entré ? à quel titre ? Après une très vive attaque au gouvernement de la défense nationale, il soutint avec non moins de chaleur la proposition suggérée par M. de Bismarck : « Là, s’écria-t-il en manière de péroraison, là seulement est le salut de l’armée, celui de la France et de la société. L’impératrice acceptera, parce que c’est le seul moyen de conserver le trône à son fils ; l’armée suivra l’impératrice, parce qu’elle sera profondément touchée de la confiance que lui témoignera une femme énergique et belle ! » Cette harangue emporta les votes ; la proposition fut adoptée ; il n’y eut d’opposans que le maréchal Le Bœuf et le général Coffinières ; ils ne pensaient pas que l’impératrice pût ou voulût accepter le rôle qui lui était offert.

Dans la soirée, le général Boyer partit pour Chislehurst ; quatre jours après, on sut qu’il avait échoué de nouveau. L’impératrice avait refusé ; devant l’histoire, ce sera son honneur. M. de Bismarck écrivit au maréchal Bazaine : « Les propositions qui nous arrivent de Londres sont, dans la situation actuelle, absolument inacceptables, et je constate à mon grand regret que je n’entrevois plus aucune chance d’arriver à un résultat par des négociations politiques. »

Ainsi s’effondrait d’un coup la scène péniblement échafaudée par le maréchal Bazaine ; ainsi, même dans son imagination complaisante, s’évanouissait cette vision fantastique d’une armée française défilant, flanquée de colonnes prussiennes, sous le regard protecteur de M. de Bismarck, et, passant, par un demi-tour à droite, de la guerre étrangère à la guerre civile.


VII


L’agonie commence. Le 24 octobre, le conseil se réunit. Que faire ? Devait-on tenter la sortie de désespoir ? Quelles chances avait-elle ? La discussion se prolongea. Il fut dit que toute la cavalerie était démontée, qu’il ne restait plus par division qu’une batterie de 12 et une de mitrailleuses, dont les attelages même n’étaient pas complets. Le général de Ladmirault se décida le