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manquaient et dont il avait toujours trop peu, parce qu’il en faisait une consommation très grande : à ce but précis et défini, il rapportait et subordonnait le reste, y compris la théorie de l’État enseignant ; elle n’était pour lui qu’un résumé, une formule et un décor. Au contraire, pour les vieux jacobins, elle était un axiome, un principe, un article du Contrat social ; par ce contrat, l’État était chargé de l’éducation publique ; il avait le droit et le devoir de l’entreprendre et de la conduire. Cela posé, en théoriciens convaincus et par le procédé aveuglément déductif, ils tiraient les conséquences et se lançaient, les yeux clos, dans la pratique, avec autant de précipitation que de raideur, sans se préoccuper des matériaux humains, du milieu réel, des ressources disponibles, des effets collatéraux, de l’effet total et final. De même, aujourd’hui, les jacobins nouveaux : selon eux, puisque l’instruction est bonne[1], elle sera d’autant meilleure qu’elle sera plus étendue et plus approfondie ; puisque l’instruction étendue et approfondie est très bonne, l’État doit, de toute sa force, et par tous les moyens, l’inculquer au plus grand nombre possible d’enfans, d’adolescens et de jeunes gens. Tel est désormais, aux trois étages de l’enseignement, supérieur, secondaire et primaire, le mot d’ordre transmis d’en haut.

En conséquence, de 1876 à 1890[2], rien qu’en bâtisses pour l’enseignement supérieur, l’État a dépensé 99 millions. Jadis les recettes des Facultés couvraient à peu près leurs dépenses ; aujourd’hui, en sus de leurs recettes, l’État leur alloue chaque année 6 millions et demi. Il y a fondé et il y défraie 221 chaires nouvelles, 168 cours complémentaires, 129 conférences, et, pour leur fournir des auditeurs, il entretient, depuis 1877, 300 boursiers qui se préparent à la licence, et, depuis 1881, 200 boursiers qui se préparent à l’agrégation. — Pareillement, dans l’enseignement secondaire, au lieu de 81 lycées en 1876, il en a 100 en 1887 ; au lieu de 3,820 bourses en 1876, il en distribue, en 1887, 10,528 ; au lieu de 2,200,000 francs pour cet enseignement en 1857, il dépense 18 millions en 1889. — Par cette surcharge de

  1. L’instruction est bonne, non pas en soi, mais par le bien qu’elle fait, notamment à ceux qui la possèdent ou l’acquièrent. Si un homme, en levant le doigt, pouvait mettre tous les Français et toutes les Françaises en état de lire couramment Virgile et de bien démontrer le binôme de Newton, cet homme serait dangereux, et on devrait lui lier les mains ; car, si par mégarde il levait le doigt, le travail manuel répugnerait à tous ceux qui le font aujourd’hui, et, au bout d’un an ou deux, deviendrait presque impossible en France.
  2. Liard, Universités et Facultés, p. 39 et suivantes. — Rapport sur la statistique comparée de l’instruction, t. II (1888). — Exposition universelle de 1889, (Rapport du jury, groupe II, 1re  partie, p. 492.)