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tout probablement 30,000. Au reste, il n’est pas besoin de les compter : depuis la suppression du volontariat d’un an, c’est toute la jeunesse capable d’études, qui, pour ne rester qu’un an à la caserne et ne pas s’y abrutir pendant trois ans, se précipite sur les bancs du lycée et sur les banquettes d’une Faculté : il ne s’agit plus pour le jeune homme d’arriver au baccalauréat, comme autrefois ; il faut encore qu’il soit admis, après un concours, dans une école spéciale, ou qu’il obtienne dans une Faculté les plus hauts grades et diplômes ; en tous les cas, il est tenu de subir avec succès des examens multipliés et difficiles. Présentement, il n’y a plus de place en France pour l’éducation inverse, ni pour aucune autre d’un type différent. Désormais, à moins de se condamner à trois ans de caserne, aucun jeune homme ne peut voyager jeune et longtemps, ou se former à domicile par des études originales et libres, séjourner en Allemagne pour y chercher dans les universités l’instruction spéculative, s’en aller en Angleterre ou en Amérique pour y puiser dans une usine ou dans une ferme l’instruction pratique. Saisi par notre système, il est contraint de se livrer à l’engrenage qui va remplir son esprit de prétendus outils, d’acquisitions inutiles et encombrantes, qui lui impose en échange une dépense exorbitante d’énergie mentale, et qui probablement fera de lui un mandarin.


V

A cet étrange et dernier effet aboutit l’institution de l’an X, et l’on voit que, pour le produire, l’esprit jacobin, grossièrement égalitaire, est intervenu. En effet, depuis 1871 et surtout depuis 1879, c’est lui qui, à travers la forme napoléonienne, souffle, pousse, dirige, et cette forme lui convient. Sur le principe, qui est l’entreprise de l’éducation par l’État, Napoléon et les vieux jacobins étaient d’accord ; ce qu’il établit en fait, ils l’avaient proclamé en dogme ; par suite, la structure de son engin universitaire ne leur répugnait pas ; au contraire, elle agréait à leur instinct. C’est pourquoi les nouveaux jacobins, héritiers de cet instinct et de ce dogme, ont tout de suite adopté l’engin subsistant ; il n’y en avait point qui leur fût plus commode, plus capable de se prêter à leurs fins, mieux adapté d’avance à leur service. En conséquence, sous la troisième République comme sous les gouvernemens antérieurs, la machine scolaire continue à rouler et à grincer dans la même ornière, par le jeu du même mécanisme, sous l’impulsion du même