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malheureux qui, à certaines heures, dépassent étrangement la pensée de l’orateur. Personne n’imagine que le président du conseil voulût multiplier les incidens ; mais, par le fait, il rassura les gens de désordre qui, en trois jours, brisèrent les chaises et interrompirent avec scandale les prédications en plusieurs autres églises.

Les récits qui remplissaient les journaux n’étaient pas faits pour calmer les esprits en province. Déjà les élections municipales y créaient une agitation qui s’étendait au clergé. Au milieu du combat, les partis s’emparaient des nouvelles venues de Paris, de Nancy et de Beauvais pour enflammer les passions.

De toutes les crises politiques, les plus redoutables pour l’église sont assurément les luttes électorales. Un clergé, tel que l’a fait le concordat de 1801, ne doit, en aucune mesure et en aucune circonstance, descendre dans l’arène. Il est condamné, s’il agit, à être tantôt le serviteur d’un parti, tantôt l’esclave du pouvoir. Sacrifiant dans l’un et l’autre cas son indépendance, il perd toute autorité.

Assurément, la conception américaine est toute contraire. Aux États-Unis comme au Canada, en Irlande comme en Angleterre, l’évêque est un chef de parti, écrivant, parlant, publiant sa pensée et lançant un mot d’ordre au moment des élections. Dans les pays où les associations politiques, économiques, universitaires se croisent et s’entre-croisent, l’activité d’une société religieuse n’étonne personne ; elle coexiste avec une foule de sociétés, qui, toutes, se meuvent à la même heure dans le même tourbillon.

En France, tout est différent. Les évêques doivent fermer leurs oreilles aux bruits qui leur arrivent à travers l’Atlantique ou la Manche. A l’heure actuelle, la séparation de l’Église et de l’État contient pour l’un et l’autre des pouvoirs la déception la plus prodigieuse et la plus fertile en violences.

Il n’y a pas à faire de théorie politique. Sous le régime du concordat, dont tout bon citoyen doit souhaiter la longue durée, les mandemens électoraux sont un danger pour l’État et pour l’Église.

Saisi de deux recours, le conseil d’État a rendu deux décrets : le 26 avril, il a déclaré qu’il y avait abus dans la lettre pastorale que l’évêque de Mende avait adressée aux curés et aux fidèles de son diocèse en vue des élections municipales et dans l’approbation donnée à une brochure anonyme sur les écoles neutres. Le 5 mai, le conseil d’État déclarait abusive la lettre de l’archevêque d’Avignon et de ses quatre suffragans.

Immédiatement après, le ministre de la justice et des cultes, ajoutant à la sentence du conseil d’Etat, a fait connaître aux six évêques qu’il suspendait leurs traitemens. En même temps, une semblable notification était adressée à Mgr Turinaz, évêque de Nancy.

Le 1er juin, le Conseil d’État prononçait une déclaration d’abus