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deux genres. Mais admettons qu’on se soit trompé, qu’on ait été téméraire en prononçant des noms d’hommes vivans, cette imprudence excuse-t-elle les violences commises à Saint-Merry et à Saint-Joseph ? Comment expliquer le tumulte de Nancy ? Y avait-il une provocation dans le fait que Mgr Turinaz, l’auteur des belles études sur la condition des ouvriers, montait en chaire dans sa cathédrale ? Y avait-il une provocation à Beauvais où le prédicateur traitait de l’observation du dimanche ?

Le fait est certain : il y a eu un dessein arrêté de soulever des conflits, de mettre obstacle à l’exercice de la prédication, parce que les meneurs redoutaient « l’influence cléricale. » Les faits s’enchaînent de telle sorte qu’il n’est pas permis d’en douter.

Les hommes de désordre avaient, il est vrai, un autre motif d’agir. Au mois d’octobre, ils avaient espéré qu’un conflit grave allait naître, puis subitement le calme s’était fait : si on laissait sommeiller les querelles religieuses, tout serait perdu. On se souvient des lettres de l’archevêque d’Aix à M. Fallières. Les incidens du pèlerinage français à Rome méritaient une recommandation verbale aux évêques. Une circulaire publique du garde des sceaux souleva fort à contretemps la question des visites d’évêques à Rome. A l’heure où la sagesse du pape aurait dû faire souhaiter à tout ministre avisé que les prélats les plus fougueux se rendissent souvent au Vatican, on mettait obstacle à leurs voyages. La réponse de l’archevêque d’Aix au ministre amena le prélat devant la police correctionnelle. La cour d’appel de Paris le condamna. La majorité des évêques de France s’unit à l’archevêque : à cette manifestation solennelle des prélats, le gouvernement allait-il répliquer ? C’eût été un conflit aigu. Il eut la sagesse de s’abstenir. Les radicaux furent exaspérés : la proie leur échappait. Ils la ressaisirent en mars, en provoquant les tumultes d’église.

La gravité d’une émeute ne se mesure pas seulement aux actes de désordre accomplis : les foules passionnées sont toujours prêtes à commettre des violences. Ce qui constitue le péril, c’est la faiblesse du pouvoir et l’hésitation de la répression. Le premier tumulte, celui de Saint-Merry, s’était terminé sans intervention de la force publique, bien que dûment requise ; on avait promis des poursuites qui devaient demeurer sans solution. C’était un double succès pour les meneurs. Ils devaient recevoir du président du conseil lui-même, à la tribune de la chambre des députés, un bien autre encouragement. Si cela se renouvelait, dit M. Loubet, en répondant aux interpellateurs, « il n’hésiterait pas à aller jusqu’au bout, jusqu’à la fermeture de l’édifice[1]. » Il y a des mots

  1. Discours de M. Loubet, président du conseil, à la chambre des députés, le 26 mars 1892. (Journal officiel, p. 368.)