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révélaient à l’intérieur des projets assez graves. Une perception inique, contre les communautés religieuses, d’un droit fiscal qui équivalait au rétablissement de la confiscation, menaçait de ruine des congrégations autorisées, les Petites-Sœurs des pauvres, les sœurs de Saint-Vincent de Paul, quelques-unes de celles qui faisaient le plus de bien et qu’on avait respectées en 1881.

Évidemment, il y avait deux politiques contraires : l’une tendant au rétablissement graduel de la paix, l’autre prête à toutes les hostilités pour répondre aux avances radicales.

C’était là, à tout prendre, une assez vieille histoire : elle n’eût rien présenté de nouveau, si, de Rome, n’était venu un souffle capable de tout changer, non pas seulement dans l’horizon borné des partis, mais dans les relations des hommes et le développement des sociétés. Dix ans de pontificat avaient donné à Léon XIII une autorité croissante : l’Europe, comme l’Amérique, sentait à toute heure l’action d’une intelligence qui était tantôt au service des humbles, tantôt au niveau des plus grands, lorsqu’au printemps de 1890 le pape lança l’encyclique sur la condition des ouvriers. On a étudié ici, avec une rare pénétration, la portée de l’œuvre pontificale[1]. Nous voulons en considérer les conséquences au seul point de vue de notre situation intérieure.

Le pape prenait le contre-pied de ce qu’avaient fait tour à tour les partis et les hommes politiques en notre siècle. Pendant longtemps, tous, même ceux qu’on peut appeler des hommes d’État, avaient repoussé loin d’eux l’étude des questions sociales, en avaient, tout au moins, ajourné l’examen ; le souverain pontife n’hésitait pas à la placer au premier rang.

En rompant avec le passé, le pape aurait pu s’unir aux novateurs dont les échos de l’Europe répétaient les discours. Puisqu’il provoquait à l’étude des questions sociales, n’allait-il pas rassembler en un bataillon tous ceux qui inscrivaient sur leur bannière le nom de socialistes chrétiens ? Quel irrésistible attrait, en notre temps, pour les chercheurs de popularité ! Les plus grands y avaient cédé tour à tour : chefs de parti, premiers ministres, empereur, nul, en Europe, n’avait résisté à la tentation. Le pape se montra au-dessus de tous les souverains, en discernant le vrai du faux. Lui seul, n’ayant pas à courir au-devant de la popularité, condamna le socialisme. Il ne proclama pas de droits nouveaux : il fit mieux, et, suivant une antique tradition du christianisme, il rappela aux puissans, aux riches, aux heureux, leurs devoirs envers leurs inférieurs. Tout ce qui demeure le fondement de la société était maintenu avec force ; mais, au nom de l’Évangile, le

  1. Voyez, dans la Revue, les études de M. Anatole Leroy-Beaulieu.