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finement et avec tant de bon sens ; mais, croyez-moi, pour me servir de ce que saint Rémy dit à Clovis, il nous faudra brûler ce que nous avons adoré et adorer ce que nous avons brûlé. » On voit aussi, par la comparaison des Précieuses ridicules avec la littérature cultivée à l’Hôtel de Rambouillet et dans les autres cercles du même genre, combien les railleries de Molière portaient juste : il ne fit que reproduire, en les poussant à l’exagération, comme c’était son droit de poète comique, les procédés favoris des précieuses, savoir le raffinement dans la pensée, la recherche dans l’expression et surtout la poursuite complaisante de la métaphore. Somaize, qui prétendait corriger Molière, n’a fait, à son insu, que réunir des preuves en faveur de son ennemi ; ce qu’il a emprunté aux Précieuses pour en grossir son dictionnaire, autant de preuves que le langage de Cathos et de Madelon était la reproduction comique de la réalité.

Quant au Grand Dictionnaire historique des Précieuses, l’auteur en avait déjà conçu le projet lorsqu’il publia le vocabulaire dont nous venons de parler. Les mémoires fournis par les précieuses lui étaient venus « de tant d’endroits et en si grand nombre, » disait-il dans sa préface, qu’il se voyait « contraint » d’ajouter un second dictionnaire au premier, et il donnait comme le prospectus de ce nouvel ouvrage. Là, disait-il, « on pourra satisfaire tout ce que la curiosité peut exiger sur le chapitre des précieuses ; car ce nouveau dictionnaire contiendra leur histoire, leur poétique, leur cosmographie, leur chronologie ; on y verra de plus toutes les prédictions astrologiques qui concernent leurs États et empires ; l’on y connoîtra aussi ce que c’est que les précieuses et leurs mœurs. Il y aura, de plus, un sommaire de leur origine, progrès, guerres, conquêtes et victoires, etc., avec un dénombrement des villes les plus remarquables et des princesses du royaume des précieuses, comme aussi des autres personnes illustres de ce pays, ensemble les éloges de ceux et celles qui ont excellé en quelque chose ; outre cela, un traité des hérésies qui s’y sont glissées, ensemble la description de tous leurs États, empires, villes, provinces, îles, mers, fleuves, fontaines, et leur géographie, tant ancienne que moderne. » Ce prospectus n’est point menteur ; le livre parut, en effet, rédigé sur ce plan bizarre et dans ce goût d’allégorie.

Lui aussi est complètement dénué de valeur littéraire. Que l’on imagine les portraits d’un Cyrus mal écrit, découpés et rangés par ordre alphabétique, avec d’interminables dissertations sur l’histoire du précieux, des prédictions faites après coup, des phrases d’auteurs précieux jetées au hasard et sans classement