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ses affaires. Il a donc mandé près de lui, outre un notaire qui recueillera ses dernières volontés, « un député de la noblesse spirituelle et galante, un autre des comédiens, et un des libraires qui avoient accoutumé d’imprimer ses ouvrages ; » plus soucieux de sa succession qu’Alexandre le Grand, il s’occupe avec eux de se choisir un héritier. On discute d’abord le nom de Quinault, que Somaize détestait cordialement et qui est écarté ; puis celui de Thomas Corneille : « Le député des comédiens demeura d’accord que ses pièces étoient admirables ; mais il dit qu’elles coûtoient trop cher aux comédiens, et qu’ainsi ils prioient M. Scarron de ne le point élire. » Malgré le libraire qui le défend en disant que lui, libraire, « gagnoit plus à des ouvrages qui lui coûtoient cher et qu’il vendoit bien qu’à d’autres qui lui coûtoient peu, et qui tenoient si bien dans sa boutique qu’ils n’en pouvoient jamais sortir, » l’auteur de don Bertrand de Cigarral et de l’Amour à la mode est écarté, lui aussi, et la discussion continue. Desmarets n’a pas plus de succès, malgré « son chef-d’œuvre incomparable, » les Visionnaires. « Molier (sic) fut ensuite mis sur le tapis, parce que les libraires avoient gagné à ses Précieuses ; mais M. Scarron le refusa tout net, disant que c’était un bouffon trop sérieux. » On finit par tomber d’accord sur le nom de Boisrobert, en qui on loue « un homme qui sait tous les tours et les détours du Parnasse, qui parle aussi bien qu’il écrit, qui sait agréablement entretenir une compagnie, et qui, après Scarron, peut se vanter d’être l’incomparable en matière de satire galante. » Il est difficile de faire une plus complète amende honorable, mais, si Somaize voulait se faire pardonner la critique de Théodore, on va voir quel succès obtinrent ses avances.

Scarron meurt bientôt après, et l’on s’occupe de régler l’ordre des préséances à son convoi. Les poètes épiques se présentent d’abord, Chapelain en tête, dont la politesse cérémonieuse, la solennité, les longues phrases sont parodiées d’une manière assez plaisante. Il réclame le pas, mais Scudéry, Desmarets, Le Moyne, Saint-Amand, Testu élèvent de vives réclamations. Viennent ensuite les traducteurs, Marolles, Brébœuf, d’Ablancourt, Duverdier, Charpentier. « Après eux, messieurs les auteurs comiques parlèrent, excepté M. de Corneille l’aîné, à qui tout le monde donna sa voix. » Parmi ces auteurs nous trouvons « M. de Corneille le cadet, » Boyer, M. de Montauban, « un certain nommé M. Le Vert, » Gilbert, Molière, que Somaize ne daigne pas nommer, et qu’il se contente de désigner par allusion : « L’auteur du Cocu imaginaire et celui des Ramoneurs et du Festin de Pierre, tous deux comédiens, se fussent battus si on ne les eût empêchés. » L’énumération continue par les théoriciens du théâtre, les critiques, les