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sous l’influence de quelles conditions un petit pâtre piémontais est-il devenu un des premiers calculateurs du siècle ?

Il est bien évident qu’en nous posant à nous-même cette question, nous n’avons nullement l’ambition naïve de chercher une explication du calculateur prodige. Si le pourquoi et le comment des choses doit nous rester caché, c’est bien dans les questions de cet ordre. Mais on peut, tout en rejetant l’idée chimérique d’une explication, chercher à faire des comparaisons entre les différens calculateurs prodiges, pour voir si leur développement mental ou anthropologique a présenté quelques caractères communs.

Lorsqu’on parcourt l’histoire de ces individus, on est frappé par trois choses : la précocité des sujets, le caractère en quelque sorte obsédant, impulsif, de leur passion pour le calcul, et le milieu généralement illettré, parfois misérable, où ils se développent.

Leur histoire à tous a plusieurs traits communs. Il s’agit le plus souvent d’un enfant né de parens pauvres et sans instruction ; tel était Mangiamele, petit pâtre sicilien ; tel était Mondeux, le pâtre toulousain ; tel est à ses débuts Inaudi, encore un pâtre. C’est dès leurs premières années qu’ils sont pris par le besoin de calculer ; Mangiamele à dix ans, Mondeux de six à dix ans, Ampère de trois à cinq ans, Gauss à trois ans ; on peut dire, de cinq à dix ans en moyenne ; c’est l’âge où la plupart des enfans vivent dans les illusions des jeux et des histoires. Sans aucune provocation extérieure, semble-t-il, en dehors de l’influence des parens ou des maîtres d’école, ces enfans prédestinés commencent à combiner des nombres dans leur tête.

À mesure qu’ils grandissent, on voit s’établir entre eux deux grandes catégories bien distinctes. Tous ont commencé par le calcul ; mais les uns vont plus loin ; le génie des mathématiques s’éveille en eux ; et ils deviennent des Gauss et des Ampère. Les autres ont une destinée plus modeste ; ils restent toute leur vie ce qu’ils ont été dans leur première enfance, des calculateurs, des spécialistes du chiffre.

Nous ignorons si cette distinction tient à la nature des choses, ou résulte simplement des hasards de l’existence. De très bons esprits pensent qu’il y a une certaine parenté entre la faculté du calcul et l’esprit mathématique, et que, si les calculateurs prodiges recevaient une éducation particulière, donnée d’une manière intelligente, ils pourraient devenir pour la plupart des mathématiciens remarquables. L’expérience ne s’est pas encore définitivement prononcée sur ce point. Pour M. Inaudi, l’avenir décidera ; mais il semble que le jeune calculateur est peu disposé à se mettre à