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schématique), les chiffres ne sont ordonnés que dans le temps ; ils sont disposés dans un ordre successif. Cette remarque conduit à une application pratique assez curieuse. Disons quatre nombres de quatre chiffres chacun à un visuel, et, pour lui permettre de retenir ces nombres, choisissons ceux qu’il connaît déjà, comme des dates d’histoire ou l’année de sa naissance, etc. Prions la personne de se représenter les chiffres disposés par quatre, les uns au-dessous des autres, formant un carré ; on peut lire ce carré de plusieurs façons, soit de droite à gauche, soit de haut en bas, soit suivant une diagonale ; le visuel, qui a dans sa tête un tableau de chiffres, fait assez facilement cette lecture ; il n’a qu’à parcourir son image visuelle dans le sens nécessaire, et on comprend que dans cette image il ne lise que les chiffres qu’on lui demande. L’auditif, qui ne voit rien, est bien plus embarrassé ; s’il veut lire suivant la diagonale, il est obligé de raisonner, de se dire que le premier nombre fournit le premier chiffre de la diagonale, que le second nombre fournit le second chiffre, et ainsi de suite : c’est un travail très pénible. M. Pierre Janet, qui a fait le premier cette ingénieuse remarque, l’a appliquée à M. Inaudi, et voici le résultat qu’a donné l’expérience. Grâce à la sûreté de sa mémoire auditive, M. Inaudi peut arriver à réciter les chiffres du carré dans l’ordre qu’on lui demande ; il y arrive même avec une certaine rapidité si on le compare à un sujet normal soumis à la même épreuve ; son admirable mémoire des chiffres l’aide et le soutient ; par conséquent, le temps qui lui est nécessaire pour les opérations ne présente rien de caractéristique. Le point important, à mon avis, c’est que, d’après son témoignage, il ne lit pas directement les chiffres placés sur la diagonale ; il est obligé d’énoncer successivement les quatre nombres et de choisir, dans chacun d’entre eux, le chiffre que la diagonale rencontre. Cet énoncé rapide du nombre entier, voilà ce qui est caractéristique.

Les expériences que nous avons exposées jusqu’ici ont surtout un caractère éliminatif ; elles ont montré que M. Inaudi n’est point un calculateur visuel. Qu’est-il donc ? S’il ne se sert pas d’images visuelles, quelle image emploie-t-il ? Nous avons laissé supposer qu’il emploie des images auditives. Cette supposition n’est peut-être pas absolument juste. Il faut bien remarquer que l’existence d’un auditif pur doit être assez rare ; les images et sensations auditives des mots sont associées aux mouvemens du larynx et de la bouche nécessaires pour les prononcer, et lorsqu’une personne se représente un mot sous la forme du son, elle doit en même temps éprouver des sensations particulières dans les organes de la phonation, comme si le mot allait être prononcé ; en d’autres termes,