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Cet ensemble de documens explique comment il existe une sorte de théorie toute faite sur les procédés des calculateurs prodiges. On est naturellement porté à croire que tous opèrent de même, par un développement considérable de la mémoire visuelle. L’étude des procédés de M. Inaudi est venue montrer qu’on ne doit pas tirer des faits précédens une conclusion générale. La vision mentale n’est pas le moyen unique pour calculer de tête ; il y a d’autres moyens qui semblent avoir la même efficacité et la même puissance. M. Inaudi, que la commission académique a interrogé avec soin sur ce point important, déclare sans hésiter qu’il ne se représente aucun chiffre sous une forme visible. Il connaît les tours de force accomplis par les joueurs d’échecs qui jouent les yeux fermés, mais il serait absolument incapable de les imiter, en se représentant la vue de l’échiquier. Lorsqu’il cherche à retenir une série de vingt-quatre chiffres qu’on vient de prononcer, comme lorsqu’il combine des nombres en vue d’un problème à résoudre, il ne voit jamais les chiffres, mais il les entend. « J’entends les nombres, dit-il nettement, et c’est l’oreille qui les retient ; je les entends résonner à mon oreille, tels que je les ai prononcés, avec mon propre timbre de voix, et cette audition intérieure persiste chez moi une bonne partie de la journée. » Quelque temps après, répondant à une nouvelle demande qui lui est adressée par M. Charcot, il renouvelle son assertion. « La vue ne me sert à rien ; je ne vois pas les chiffres ; je dirai même que j’ai beaucoup plus de difficulté à me rappeler les chiffres, les nombres lorsqu’ils me sont communiqués écrits que lorsqu’ils me sont communiqués par la parole. Je me sens fort gêné dans le premier cas. Je n’aime pas non plus écrire moi-même les chiffres ; les écrire ne me servirait pas à les rappeler. J’aime beaucoup mieux les entendre. »

Ces affirmations si explicites semblent ne laisser place à aucun doute. Évidemment, M. Inaudi n’est comparable ni à Mondeux, ni à Colburn, ni à ces autres calculateurs qui voient clairement les chiffres devant eux. Il demande à l’audition mentale ce que ces calculateurs demandent à la vision.

L’attitude qu’il prend pendant ses exercices et diverses observations qu’on peut faire sur lui viennent confirmer son témoignage sur cette question, si importante pour la théorie. Nous avons dit déjà qu’il reçoit en général par la parole les nombres à répéter et les données du problème à résoudre. Si on veut lui présenter les nombres par écrit, il prend le papier et, revenant par un artifice très simple au procédé qui lui est le plus naturel, il prononce à haute voix les nombres écrits, de sorte qu’il se place à peu près dans les mêmes conditions que si les nombres lui avaient été com-