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conséquences ; une occasion de faire miroiter l’espoir de faciles emprunts aux yeux des maires de leur arrondissement, voilà tout ce qu’ils ont vu dans cet affaire.

Notez que c’est le gouvernement qui a imposé au Crédit foncier le service, si peu rémunérateur, des prêts communaux. Pourrait-il aujourd’hui l’en dessaisir sans l’indemniser des pertes que lui infligerait la dépossession ?

On voit où l’inexpérience, le mépris ou l’ignorance des plus simples notions économiques, ont conduit la chambre, que le gouvernement aurait dû guider avec plus d’énergie et arrêter sur une pente fâcheuse, s’il n’était lui-même dominé par l’obsédante pensée de faire servir à tout prix les colossales disponibilités des caisses d’épargne à une exaltation dangereuse du crédit public.

Il se peut que, dans l’intervalle de la première à la seconde lecture, la réflexion reprenne ses droits et qu’un assez grand nombre de députés, comprenant le danger des résolutions prises, se décident à défaire ce qu’ils ont fait et à repousser l’amendement Siegfried, malgré la présomption créée en sa faveur par un premier vote. Si l’on ne va pas jusque-là, une majorité peut se réunir sur l’amendement Léon Say, retiré par son auteur, au moment où il allait être mis en discussion, mais destiné à réapparaître au cours de la seconde délibération. Dans le premier cas, la Caisse des dépôts et consignations pourrait employer une partie de ses fonds en obligations négociables représentant des prêts aux communes, départemens et chambres de commerce ; dans le second, elle pourrait consentir à ces corps constitués des prêts directs, mais seulement jusqu’à concurrence d’une somme de 20, 40 ou 50 millions chaque année. Le préjudice causé au Crédit foncier serait par là sensiblement atténué ; mais on tomberait dans un nouvel inconvénient, grave encore et d’une dangereuse portée politique. La somme à affecter aux prêts étant limitée, la concession de ces prêts risque d’être accommodée aux convenances électorales, plus qu’à l’étendue ou à l’intensité réelle des besoins. L’intrigue, la protection, auront un libre jeu ; on institue pour cette branche d’opérations un régime de faveur et d’arbitraire.

Sous quelque jour qu’on examine la loi, telle qu’elle sort de cette première lecture où la discussion a été si heurtée, si incohérente, si peu dominée par les vrais principes et par les nécessités du fait, on ne peut trouver à louer le travail parlementaire accompli. On espérait une diminution des responsabilités de l’État ; ces responsabilités seront plus lourdes que jamais. Les voix les plus autorisées ont pu proclamer, sans exciter dans la chambre la plus faible émotion, que ce que l’on votait conduisait fatalement à une