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que le gouvernement aurait été fort en peine de restituer si elle lui avait été réclamée, l’ayant employée en dépenses de toute espèce. C’était en 1883. Pour se dégager de cette créance formidable, de cette dette flottante démesurée, le Trésor l’a consolidée en remettant à la Caisse des dépôts et consignations, comme contre-valeur de ses avances, un titre de rente amortissable d’une importance correspondante (40,241,550 francs de rente pour 1,341,385,000 francs en capital nominal), calculée à un taux légèrement supérieur à 80 pour 100. Deux ans plus tard, les capitaux ayant de nouveau afflué, nouvelle consolidation, et pour la même cause, d’un solde en compte courant d’environ 400 millions de francs.

Un ministre des finances, à cette époque, eut peur. Il entrevit le compte courant de la Caisse des dépôts prenant une troisième fois, en peu d’années, un développement énorme, et l’État absorbant toujours ces épargnes populaires et restituant à la Caisse, au lieu des dépôts reçus, du papier. Il faut rendre pleine justice à ce ministre ; il voulut délivrer une fois pour toutes l’État des tentations auxquelles il n’avait pas su résister, et il fit insérer dans la loi de finances de 1887 un article d’une importance capitale, limitant pour l’avenir à 100 millions de francs pour les caisses d’épargne ordinaires, à 50 millions pour la Caisse nationale, le montant maximum des sommes que le Trésor pouvait recevoir en compte courant de ces établissemens.

Pour le surplus de leurs fonds disponibles, les caisses d’épargne ordinaires et la caisse d’épargne postale en feraient emploi, par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations, sans que le gouvernement pût en distraire la moindre parcelle pour son usage. L’emploi était d’ailleurs tout indiqué ; il ne pouvait être ou parut ne pouvoir être que le placement en rentes françaises, le choix de la Caisse étant très limité par la législation existante et les rentes françaises jouissant, entre toutes les valeurs, du marché le plus large en même temps que du crédit le plus indiscuté.

La réforme était bonne ; elle rétablissait une distinction nécessaire entre l’État et des deniers privés ; elle plaçait hors de son atteinte des sommes énormes qui ne lui appartenaient pas. On ne peut plus dire aujourd’hui ce que disait M. de Foville dans le passage cité plus haut : « La réglementation des dépôts individuels est devenue une question, non plus d’intérêt public, mais d’intérêt gouvernemental. » On peut dire au contraire, et l’on doit dire, en retournant les termes : « Depuis la loi de finances de 1887, la réglementation des dépôts individuels est redevenue une question, non d’intérêt gouvernemental, mais d’intérêt public. »