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dégagée des sens, le soleil n’est qu’un va-et-vient vertigineux de particules qui se choquent et rebondissent, animées d’une vitesse extrême, et qui ébranlent au loin l’éther comme une cloche énorme ébranle l’air.

Ce que nous pensons d’une vraie pensée, avons-nous dit, existe par cela même que nous le pensons ; dès lors, pour le philosophe et le savant, dans le domaine accessible à nos moyens de connaître (le seul dont nous ayons à nous occuper), ce qui est intelligible est réel, ce qui est réel est intelligible. Avant Spinoza et avant Hegel, mais en restreignant avec sagesse la proposition, Descartes admet l’identité du réel et du rationnel. Par là encore il devance l’idéalisme de nos jours.

Cette valeur objective que Descartes attribue à nos idées claires et distinctes fonde la certitude de la science. Chacun porte en soi sa propre infaillibilité ; il ne tient qu’à nous de l’y trouver, et c’est l’objet même de la méthode. Voulez-vous posséder la certitude, soyez absolument sincère et véridique en vos jugemens, c’est-à-dire n’y introduisez que ce dont vous avez réellement la vision claire. Toute affirmation, répète Descartes, est active et volontaire ; affirmer, c’est vouloir que telle chose soit hors de nous comme elle nous apparaît, et parler ou agir en conséquence ; c’est passer activement du point de vue des apparences au point de vue de la réalité extérieure. N’affirmez donc rien au-delà de votre vision intellectuelle, et vous ne vous tromperez jamais. Traduire exactement votre état de conscience, voilà qui dépend de vous, et de vous seul. Vous voyez clairement, dites : « Je vois ; » vous voyez obscurément, dites : « Je vois mal ; » vous doutez, dites : « Je doute. » Ne pas se mentir à soi-même, ne pas mentir aux autres en prétendant savoir ce qu’on ne sait pas, c’est la véracité du philosophe, laquelle, soit qu’il connaisse, ignore ou doute, fait son infaillibilité. Qu’on ne nous parle donc plus d’autorités étrangères à notre conscience, d’Aristote, de Platon, de tous ceux qui nous ont précédés : aucun homme ne doit s’interposer entre la pureté de la lumière et la pureté de notre esprit. Cremonini, apprenant que Galilée avait découvert des satellites autour de Jupiter, ne voulut pas, prétend-on, regarder à travers un télescope, pour ne pas découvrir là-haut le contraire de ce qu’avait dit ici-bas Aristote ; Descartes, lui, ne veut même pas « savoir s’il y a eu des hommes avant lui. » Tout intermédiaire lui est suspect entre l’être et la pensée, qui sont faits l’un pour l’autre, qui sont au fond une seule et même réalité devenue diaphane pour soi, devenue vérité. Mettons-nous en présence de la vérité et adorons-la.

Les conséquences du grand principe qui précède sont bien