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II

L’idéalisme moderne, différent de l’idéalisme dogmatique qui fut celui de l’antiquité, a pour origine la « critique de la connaissance », dont la conclusion est la suivante : — Le monde de réalités que nous croyons saisir directement en elles-mêmes n’est qu’un monde représenté dans notre esprit, un monde idéal. — Descartes est le premier qui ait fait systématiquement, avant Hume et Kant, la critique de nos moyens de connaître ; et ce n’est pas son moindre titre de gloire. Il déclare dans ses principes qu’il importe de savoir non-seulement quelles choses on peut connaître, mais aussi quelles choses « nous ne pouvons connaître » ; par conséquent, la valeur de nos idées hors de nous, la portée exacte et les bornes de notre intelligence. Son livre, qui traite « de l’univers », s’ouvre par une théorie de la connaissance. Qu’est-ce que la vérité, qu’est-ce que l’erreur, à quels signes peut-on les distinguer ? Voilà ce qu’il se demande avant de passer aux objets de la connaissance. Il définit la métaphysique même, avant Kant et par opposition à l’ontologie dogmatique de ses prédécesseurs, l’étude des « principes de la connaissance humaine. » Il attribuait d’ailleurs aux principes de la connaissance une foncière identité avec les principes de l’existence à nous connaissable. C’était donc bien, en somme, à ce que les Allemands appellent aujourd’hui la « théorie de la connaissance », et dont ils ont fait une véritable science dominant toutes les autres, que Descartes rattachait déjà les sciences diverses et leur méthode. Cette conception est la vraie : sans enlever aux sciences spéciales leur légitime indépendance, elle marque l’unité de leurs principes et de leurs méthodes dans la nature même de l’intelligence. « Les sciences toutes ensemble, dit magnifiquement Descartes, ne sont rien autre chose que l’intelligence humaine, qui reste une et toujours la même, quelle que soit la variété des objets auxquels elle s’applique, sans que cette variété apporte à sa nature plus de changement que la diversité des objets n’en apporte à la nature du soleil qui les éclaire. » Aussi « une vérité découverte nous aide à en découvrir une autre, bien loin de nous faire obstacle. Si donc on veut sérieusement chercher la vérité, il ne faut pas s’appliquer à une seule science. » Précepte auquel devrait revenir le spécialisme outré de notre époque.

Enfin, comme Kant, Descartes eut toujours devant l’esprit une idée qui marquait à ses yeux les bornes de la philosophie même : radicale incompréhensibilité de la puissance d’où tout dérive. Le premier principe des choses, en fondant les lois intelligibles de l’univers, fonde sans doute la possibilité de la science ; mais, en même