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qu’on nourrit à discrétion pour qu’elles rendent davantage, tantôt comme des ennemis de l’ordre public, que l’on rançonne et que l’on détruit.

Tolérés, expulsés, rappelés, ces instrumens odieux et nécessaires du crédit demeurent dans le monde civilisé, du XIIe au XVIe siècle, comme des oiseaux à demi sauvages sur des branches à moitié pourries, vont, viennent, dressent ou replient leurs bancs ou leurs tables sur les places des villes, ouvrent ou ferment leurs échoppes, selon les besoins ou les caprices des potentats ou des foules. Philippe-Auguste leur permet le prêt à raison de 10 pour 100 l’an ; Philippe le Bel (1312) fixe le taux de l’intérêt à 15 pour 100, pour les affaires traitées en foire, et à 20 pour 100 pour les opérations ordinaires. Louis le Hutin l’autorise, quelques années plus tard, jusqu’à 260 pour 100 (un sou pour livre par semaine), mais pas davantage ; « car, disait-il dans son ordonnance, notre volonté n’est mie qu’ils puissent prêter à usure. »

Ce monarque était trop bon ; il laissait à l’intérêt légal une marge dont celui-ci n’avait pas besoin. Il n’existe pas d’emprunts faits à 260 pour 100, même parmi les emprunts « à la petite semaine. » Une pauvre serve de Troyes, débitrice, en 1388, d’une somme de 25 sous, pour laquelle elle a mis en gage sa meilleure « cotte, » paie 2 deniers pour livre par semaine, soit sur le pied de 47 pour 100 par an pendant les quatre mois que dure sa dette. C’est là du moins le taux le plus élevé que j’aie remarqué ; bien que plus tard, à Grenoble, le conseil communal demande que l’on exerce des poursuites contre les usuriers « qui exigent un intérêt de 100 pour 100. » Mais il peut y avoir là une de ces exagérations de langage comme les assemblées délibérantes d’autrefois ne craignaient pas d’en commettre.

L’intérêt mobilier a varié en France, au moyen âge, autant qu’on en peut juger par un très grand nombre d’exemples choisis dans beaucoup de provinces, de 45 à 10 pour 100. En moyenne, il oscille entre 20 et 25 pour 100, mais plus près de 20 que de 25. Il y a pourtant d’assez grandes différences entre les divers pays, selon le degré de civilisation où ils sont parvenus, et la prospérité relative dont ils jouissent.

L’empereur Louis de Bavière accorde, en 1338, aux bourgeois de Francfort, « par privilège spécial, » que les emprunts faits par eux ne pourront plus être qu’à 32 pour 100 ; tandis que les juifs, traitant avec les étrangers, pourront prendre 43 pour 100. Les juifs réclament à Francfort 22 pour 100 en 1491, et jusqu’au xviii6 siècle, dans le Brandebourg, on leur permit de prendre 24 pour 100. À Strasbourg, au contraire, centre riche et populeux, sous une administration intelligente, le taux de l’intérêt avait