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« d’argent à acheter, » que le prix de la vie (puisque vendre des marchandises, c’est acheter de l’argent).

Si le rapport entre « l’argent à louer » et « l’argent à vendre » était constant et absolu, le taux de l’intérêt serait toujours bas quand les marchandises sont chères, dans le cas, bien entendu, où la cherté des marchandises ne proviendrait pas de leur rareté, mais de l’abondance de l’argent. Or s’il en a souvent été ainsi, on a parfois aussi vu le contraire ; d’où l’on peut conclure qu’il n’y a aucune connexité entre ces deux faits. C’est que l’argent à vendre et l’argent à louer ne répondent pas aux mêmes usages, aux mêmes besoins. Nous avons recherché, dans un précédent travail, ce qui faisait augmenter ou diminuer la puissance d’achat de l’argent, venant sur le marché pour y être vendu, par conséquent, échangé définitivement contre un autre produit.

L’argent que l’on veut seulement prêter, pour en retirer un loyer annuel, ne subit pas les mêmes influences. L’offre d’argent à prêter vient de l’épargne accumulée, des capitaux disponibles ; la demande d’argent à emprunter vient du commerce, des entreprises industrielles. Il semble à première vue qu’en comparant, aux temps féodaux et de nos jours, d’une part la masse d’argent à placer, le métal errant, en quête d’emploi, d’autre part, les besoins du commerce et de l’industrie, le taux de l’intérêt aurait dû être autrefois beaucoup plus bas qu’il n’était : en admettant que la somme des capitaux ait été beaucoup moindre, au XIVe siècle, qu’elle ne l’est de nos jours, le besoin de ces capitaux a dû être encore moins grand que la masse n’en était petite.

Seulement l’intérêt des prêts purement mobiliers n’était pas alors à un taux normal ; il ne résultait pas de la libre concurrence des prêteurs et des emprunteurs. La législation, les mœurs surtout, ont joué dans le prix du loyer de l’argent un rôle dont il faut tenir compte. Si les mœurs et les lois ont eu et auront toujours une action réciproque les unes sur les autres, les premières sont incontestablement beaucoup plus puissantes que les secondes ; nous venons d’en avoir une nouvelle preuve à propos des altérations de monnaies. Mais, en fait de prêt à intérêt, d’usure, — les deux mots alors étaient synonymes, — les mœurs étaient d’accord avec les lois pour le réprouver. La faute en est-elle à l’Église catholique, dont les docteurs et les papes portent généralement, devant l’histoire, la responsabilité du discrédit où demeurait le commerce de l’argent ? — L’Evangile pourtant, dans sa parabole des cinq talens qui en ont rapporté cinq autres, recommande comme un modèle l’exemple de deux trésoriers qui plaçaient l’argent de leur maître à 100 pour 100. — Ces papes et ces docteurs n’auraient-ils