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l’absurde résultat que voici : les prix anciens, exprimés en livres, n’ayant pas varié dans le commerce, l’objet qui valait 10 sous en 1418 vaut toujours 10 sous en 1420 ; mais, comme on traduit les 10 sous de 1418 par 3 fr. 25, et les 10 sous de 1420 par 1 franc, on amène le lecteur, qui ne connaîtrait que la colonne des prix traduits en francs, à conclure que les altérations des monnaies par les rois avaient pour conséquence de faire beaucoup baisser le prix des choses ; tandis qu’au contraire, lorsqu’elles avaient une influence sur eux, c’était bien entendu dans le sens d’une hausse, d’une hausse nominale du moins.

Je crois plus sage de prendre, pour établir le prix de la livre tournois en France, la moyenne du prix du kilogramme d’argent fin, à chaque époque, en ne tenant compte que dans une très faible mesure des valeurs extravagantes attribuées à ce métal par les décisions éphémères du gouvernement. On obtient ainsi, de 1200 à 1600, dix-huit prix successifs de la livre tournois en francs, déduits du prix moyen de l’argent, pendant un nombre égal de périodes, dont on peut se servir pour calculer la valeur intrinsèque des objets de toute nature, et pour apprécier en bloc les vicissitudes de la fortune mobilière française.

Partie de 22 francs dans le premier quart du XIIIe siècle, la livre tournois était déjà descendue à 12 francs en 1320. Elle tombe d’une façon définitive, après quelques oscillations, à 7 fr. 50 en 1390. Elle avait donc baissé, en cent soixante ans, de près des deux tiers. Si elle avait continué dans la même proportion jusqu’en 1789, elle se serait réduite à quelques centimes. Mais, de 7 fr. 50 à la fin du XIVe siècle, elle mit près de cent ans avant de tomber au-dessous de 5 francs en 1488 ; et elle valait encore plus de 2 fr. 50 à l’avènement d’Henri IV. Il est remarquable, comme je l’ai dit dans un travail précédent, que les diminutions ou augmentations du pouvoir commercial de l’argent soient demeurées absolument indépendantes de la dépréciation de la monnaie de compte, que même la pléthore de métaux précieux, au XVIe siècle, n’ait eu sur le prix du kilogramme d’argent, exprimé en livres, aucune influence sérieuse.

Les 245 grammes d’argent valent 2 livres 10 sous en 1200, 4 livres en 1301, 7 livres 4 sous en 1411, 13 livres 12 sous en 1512, et 22 livres 16 sous en 1602[1]. Ils ont donc haussé d’une

  1. La livre tournois valut en moyenne :
    De 1200 à 1225 21 fr. 77 De 1361 à 1389 8 fr. 90 De 1488 à 1511 4 fr. 64
    De 1226 à 1290 20 fr. 1390 à 1410 7 fr. 53 1512 à 1540 3 fr. 92
    1291 à 1300 16 fr. 1411 à 1425 6 fr. 85 1541 à 1500 3 fr. 34
    1301 à 1320 13 fr.40 1426 à 1445 6 fr. 53 1561 à 1579 3 fr. 11
    1321 à 1350 12 fr. 25 1446 à 1455 5 fr. 60 1573 à 1579 2 fr. 88
    1351 à 1360 7 fr. 26 1456 à 1487 5 fr. 29 1580 à 1601 2 fr. 57