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l’instruction au rabais ou gratis, la lutte est trop inégale[1]. — Tel est l’effet actuel et final du premier monopole napoléonien : l’entreprise de l’État a, par contre-coup, suscité l’entreprise du clergé ; à elles deux maintenant, elles achèvent de ruiner les autres, particulières, diverses, indépendantes, qui, n’ayant d’autre support que l’approbation des familles, n’ont d’autre objet que le contentement des familles. Au contraire, à côté de cet objet, les deux survivantes en ont un autre, chacune le sien, objet supérieur endoctrinai, qui lui est assigné par son intérêt propre et par l’antagonisme de l’intérêt contraire ; c’est en vue de cet objet, en vue d’un but politique ou religieux, que chacune d’elles dirige chez elle l’éducation et l’enseignement ; comme Napoléon, elle inculque ou insinue aux jeunes gens ses opinions sociales et morales, lesquelles sont tranchées et deviennent tranchantes. Or la majorité des parens, qui préfère la paix à la guerre, souhaite à ses enfans des opinions moyennes, non belliqueuses ; elle voudrait qu’on fit d’eux des adolescens instruits et respectueux, capables et sociables, rien de plus ; mais aucune des deux institutions rivales ne s’en tient là ; chacune d’elles opère au-delà et à côté[2], et, quand le père, à la fin de juillet, vient reprendre son fils au collège ecclésiastique ou au lycée laïque, il court risque de trouver, dans le jeune homme de dix-sept ans, les préjugés militans, les conclusions hâtives et violentes, la raideur intransigeante d’un « laïcisant » ou d’un « clérical. »


III

Cependant, les vices internes du système primitif ont persisté, entre autres, l’un des pires, l’internat sous une discipline de caserne ou de couvent, et l’Université, par sa primauté et son ascendant, par son contact et sa contagion, l’a communiqué, d’abord à ses subordonnés, ensuite à ses rivales. — En 1887[3], dans les

  1. Depuis quelques années, l’École alsacienne ne se soutient que par un subside de 40,000 francs alloué par l’État ; cette année, l’État fournit à Monge et à Sainte-Barbe des subsides de 130,000 et de 150,000 francs ; sans quoi elles feraient faillite ou fermeraient. Probablement, l’État les soutient ainsi pour avoir à côté de ses lycées un champ d’expériences pédagogiques, ou pour empêcher une congrégation catholique de les acheter.
  2. Même lorsque les maîtres sont concilians ou réservés, les deux institutions s’affrontent, et les élèves ont conscience de cet antagonisme ; par suite, ils voient de mauvais œil les élèves, l’éducation et les idées de l’institution rivale. En 1852, et dans quatre voyages circulaires de 1803 à 1866, j’ai pu constater sur place ces sentimens très manifestes aujourd’hui.
  3. Exposition universelle de 1889, Rapport du jury, groupe II, 1re partie, p. 492. — Documens recueillis aux bureaux de l’instruction publique pour 1887. (Aux internes énumérés ci-contre, il faudrait ajouter ceux des établissemens privés laïques, 8,958 internes sur 20,174 élèves.) — Bréal, Excursions pédagogiques, p. 293, 298.