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des journalistes étrangers et malveillans, sans plus de façons que la Gazette de Cologne. Il nous représente comme un peuple qui dès le lendemain de ses malheurs, impatient de prendre sa revanche, a guetté sans cesse l’occasion de se jeter sur ses voisins et à qui les jours ont paru longs comme des années, à qui les heures ont semblé longues comme des jours. Assurément, nous avons nos fous ; est-il une seule nation qui n’ait les siens ? Mais quand nous serions aussi impatiens, aussi vaniteux, aussi peu maîtres de nous, aussi étourdis que le croit l’anonyme, il eût été digne de lui et de sa philosophie de considérer que nous avons donné à l’Europe, bon gré mal gré, un gage de paix en nous constituant en république. C’est une situation peu favorable aux entreprises que d’avoir à organiser chez soi un gouvernement nouveau, et notre politique intérieure nous donne souvent tant de tracas que dans certaines circonstances nous devons faire quelque effort pour nous rappeler que nous avons des voisins et qu’il se passe quelque chose au-delà de nos frontières. Quand un homme s’est mis à bâtir, quand il s’occupe d’arranger et de meubler sa maison, il ne pense guère aux aventures, et la nature humaine est ainsi faite que les partis tout fraîchement arrivés au pouvoir songent surtout à s’y installer le plus solidement possible, à se prémunir contre les retours de fortune. Leur grande affaire est de posséder et de jouir.

Mais c’est surtout la forme même de nos institutions qui garantit l’Europe contre nous et contre tout accès d’humeur brouillonne. Nous avons un gouvernement qui, par la force des choses, est incapable d’un coup de tête et de rien hasarder. Les hommes assez audacieux pour braver l’opinion publique en assumant sur leur tête de grandes responsabilités sont rares partout ; ils sont, on peut le dire, impossibles en France. Eh ! bon Dieu, nous nous plaignons que nos gouvernans, loin d’avoir l’ambition de répondre de tout, sont souvent trop enclins à ne répondre de rien. Dans les pays où tous les pouvoirs émanent du suffrage populaire, où toute autorité est conférée par le peuple et ne l’est que pour un temps, on est peu disposé à prendre sur soi, à engager légèrement les destinées de la nation. Si le général Boulanger était devenu président de la république, il eût sans doute étonné le monde par sa modération, peut-être même par sa pusillanimité. Pour notre bonheur à la fois et pour notre malheur, tout est subordonné chez nous à la politique électorale, et dans l’état actuel de l’opinion française, un ministre des affaires étrangères qui nous jetterait à l’étourdie dans quelque redoutable imbroglio aurait bientôt succombé sous un universel désaveu.

La vérité est que durant bien des années, qui assurément nous ont paru longues, nous nous sommes crus sans cesse menacés, sans cesse sous le coup d’une attaque, que nous avons vécu dans les anxiétés et les alertes, que tout mouvement de nos voisins nous inquiétait. Nos