Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans quoi ses enfans auraient le ton de garçons de boutique. Le matin même, le duc de Valois ne lui avait-il pas dit qu’il avait bien tambouriné à sa porte, et ajouté, en parlant des promenades de Saint-Cloud, qu’on était bien tourmenté par la parenté, ce qui signifiait par les cousins ? Mme de Genlis ayant proposé MM. de Schomberg, de Durfort, de Thiais, il refusa, objectant que le premier rendrait ses enfans pédans, que le second leur donnerait de l’exagération et de l’emphase, que le troisième était trop léger. « Eh bien ! moi, fit-elle en riant. — Pourquoi pas ? reprit-il sérieusement. » Sa tête s’exalta, elle entrevit la possibilité d’une chose extraordinaire et glorieuse, et se laissa entraîner. La duchesse de Chartres fut ravie, le prince fit part de son choix à Louis XVI, qui l’agréa ; tous les hommes du Palais-Royal, à l’exception de M. de Schomberg, montrèrent un dépit extrême, et le monde se vengea en raillant madame la gouvernante-gouverneur.

On était convenu de garder comme sous-gouverneur le chevalier de Bonnard, mais l’idée d’obéir à une femme l’exaspéra, et il donna sa démission. Bien que le duc de Valois n’eût encore que huit ans, Mme de Genlis obtint pour lui le traitement qu’on accordait aux gouverneurs qui avaient terminé une éducation. C’était un homme d’esprit qui rimait agréablement, mais dont les manières laissaient parfois à désirer ; il fit, sur le Théâtre d’éducation de la comtesse, des vers qui finissaient ainsi :


Ces drames si beaux, si parfaits,
Ne sont pas ceux de vos ouvrages
Que j’aimerais mieux avoir faits.


M. de Bonnard fut remplacé par M. Lebrun, ancien secrétaire de M. de Genlis, et l’on garda l’abbé Guyot auprès des jeunes princes. Ce dernier avait été en Russie chargé d’affaires par intérim pendant quelques mois, et il affectait de paraître si occupé de cet emploi que Catherine II l’appelait : « M. le surchargé d’affaires. »

En même temps qu’elle s’inspirait des idées de Fénelon, de Rollin, la gouvernante innova résolument, montrant dans cette mission toute nouvelle un esprit original et pratique, une persévérance qui ne se démentit pas une seconde pendant douze ans : elle semble répudier les systèmes philosophiques, mais quelquefois s’approprie les opinions de Locke, de Jean-Jacques, en les pliant au caractère de ses élèves, et se souvient de Montaigne, ce grand maître dans la science de la vie, qui veut que l’on conduise