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enchante tous ceux qui sont sensibles à l’expression d’une sensation juste par l’art admirable du peintre. L’autre tableau de M. Rigolot, la Mare aux fées, est plus incertain et plus banal ; mais il suffit d’une étude comme celle de la Carrière pour classer un artiste. MM. Quignon et Petit-Jean ont déjà fait leurs preuves. Les Avoines en fleur du premier ont toujours de l’éclat, de la franchise, de la force ; nous y voudrions moins de lourdeur, surtout dans le ciel. M. Petit-Jean, au contraire, assouplit et allège sa manière, aisément sèche et rude, lorsqu’il détaille les moellons et les briques des rustiques bâtisses sous les éclats pesans d’un violent soleil. Il étudie encore le même effet dans son Florémont, village de Lorraine, mais avec des finesses nouvelles dans l’expression éclatante et solide des choses. Ces ruissellemens de grand soleil sur les maçonneries et sur les terrains tournent facilement à l’enluminure criarde, si on ne les observe pas avec le sentiment juste des altérations infinies qui atténuent toujours dans la réalité les contrastes les plus violens entre les clartés et les ombres. Pour savoir combien la difficulté est grande et quelle habileté il faut pour la surmonter, il suffit d’examiner avec soin toutes les études de ce genre envoyées de province ou d’Afrique, Midi sur l’étang de Berre, par M. Gagliardini, la Vue d’Agde, par M. Bill, la Récolte des dattes dans l’oasis de Chetma, par M. Bompard, la Place de l’oasis d’El-Bordj, par M. Paul Leroy, les tableaux de MM. Nardi, Allègre, Lévis, Yarz, G. Dufour, Saïn, Olive, Lazerges, Bertrand, etc. Dans toutes ces toiles très brillantes, dont quelques-unes, comme celle de M. Bompard, sont soigneusement dessinées, c’est le plus ou moins de délicatesse dans les nuances claires ou ombrées qui détermine l’harmonie et qui assure le charme.

Les meilleurs peintres du Midi ne sont pas toujours des méridionaux. Depuis que MM. Harpignies et Lansyer plantent leurs chevalets sous les vieux oliviers de Nice et de Menton, ils nous ont appris à voir, dans ces arbres noueux et tourmentés, aux feuillages pâles, inquiets et tristes, toutes sortes de majestés puissantes et d’affabilités tendres que nos pères n’y soupçonnaient guère. Chez ces deux maîtres, d’allure grave, de conscience sévère, d’intentions nettes, la précision du dessin, dans la sobriété des colorations finement apaisées, devient une séduction irrésistible. La Vue prise à Beaulieu, par M. Harpignies, et les Environs de Menton, par M. Lansyer, compteront parmi leurs meilleurs ouvrages. Leur prédécesseur à tous deux, celui dont l’influence s’exerce heureusement encore sur une bonne partie de l’école, M. Français, continue d’ailleurs à prêcher d’exemple pour le rythme clair de la disposition, pour la dégradation savante des plans, pour l’heureuse distribution de la lumière dans son Village de Bellefontaine. Tous ceux qui, avec