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expressive que nous demandons aujourd’hui à tout paysage. Le peintre ici séduit et retient avant l’archéologue qu’on sent vivre, néanmoins, dans la vraisemblance des êtres et des choses ; c’est un bon modèle de peinture historique ou plutôt préhistorique, tel que notre temps le peut rêver. La recherche est plus laborieuse et l’interprétation imaginative moins décidée dans le tableau de M. Luminais, le Passage de la Meuse par les Francs au IVe siècle. M. Luminais, on doit lui rendre cette justice, est un des premiers qui aient étudié avec amour les origines de notre histoire nationale, et il a fait, en ce genre, quelques belles œuvres, notamment ses Énervés de Jumièges ; ses travaux antérieurs toutefois l’avaient mieux préparé à y voir l’anecdote que l’épopée. L’énergie de la facture ne semble pas correspondre, dans sa grande toile, à l’énergie des types entrevus, et les allures un peu molles du pinceau laissent mal paraître le mérite de la conception. Si nous signalons encore pour un certain sentiment de l’effet pittoresque, la Mort des preux, par M. Bussière, pour des indications excellentes, mais encore bien vagues, la trop grande toile, sincèrement émue, le Corps de Marceau rendu à l’armée française, par M. Roussel, pour une recherche consciencieuse des types et les expressions, les Prisonnières huguenotes à la tour de Constance, par M. Leenhardt, pour une étude un peu froide, mais grave et sincère du personnage principal, la Mort de Pierre Corneille, par M. Chicotot, pour une certaine recherche de l’expression physionomique, la Charlotte Corday, de M. Scherrer, toutes toiles purement anecdotiques, nous sommes bien près d’en avoir fini avec les inspirations fournies par notre histoire, et, il faut l’avouer, c’est trop peu dans un moment où l’on parle si souvent de patriotisme et où tous les édifices publics demandent aux peintres d’exprimer ce patriotisme sur leurs murailles. Les tableaux de chevalet, rappelant quelques épisodes de la Révolution sur les dernières guerres, sont, il est vrai, plus nombreux ; mais, en général, le talent de mise en scène n’y dépasse guère celui que possèdent aujourd’hui presque tous les illustrateurs, et l’exécution pittoresque y est, le plus souvent, très faible. Nous constatons d’heureuses exceptions à cette médiocrité générale dans les peintures, soignées, vives, parfois dramatiques ou spirituelles de MM. Sergent (Marengo, 14 juin 1800) ; Jules Girardet (le Soir de la bataille de Quiberon) ; J. Leblant (le Retour du régiment) ; Berne-Bellecour (la Défense d’un pont) ; Boutigny (le Récit du cantonnier), etc.

C’est encore dans la représentation des mœurs populaires contemporaines que nos peintres actuels font les plus heureuses rencontres. Ils feront bien d’ailleurs, même sur le terrain, de veiller sur eux-mêmes et de s’attacher à de plus fortes études, car les