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marquées au grand style, on remarque certains morceaux d’une facture habile. L’ensemble, dans les deux toiles, est moins heureux ; le paysage, dans les Échos, est d’une réalité un peu sèche tandis que ses habitantes sont plus librement traitées, mais d’un pinceau fort inégal ; le travail de fusion entre le rêve et l’étude n’est pas accompli. Dans la Toile d’araignée, le sujet se comprend mal, on ne s’explique pas que les fils ténus et frêles d’Arachné suspendus entre les branches puissent une seconde arrêter des gaillardes si membrues. Les apparitions indécentes qui assiègent un jeune vicaire, au pied même de l’autel, dans la Tentation de M. Suran, s’évertuent avec plus de souplesse ; mais la grossièreté du contraste entre l’habit ecclésiastique et ces nudités de modèles est trop marquée pour n’être pas répugnante. L’insistance, en ces fantaisies scabreuses, est ce qu’il y a de plus insupportable au monde.

Les visions de M. Henri Martin, l’Homme entre le vice et la vertu, et de M. Maignan Carpeaux sont d’un ordre autrement relevé. L’un a vu, autour du jeune homme, ardent et indécis, flotter les fantômes des Vices et de la Vertu ; l’autre, autour d’un artiste mourant, flotter les fantômes de ses créations réalisées. L’un appartient à l’école nouvelle qui fait bon marché de la vérité comme de la beauté des formes, redoute les accens éclatans de la couleur autant que les accens fermes du dessin, recherche avant tout des effets de séduction subtils et raffinés dans l’unité soutenue d’une décoloration harmonieuse ; l’autre se rattache aux traditions anciennes, cherchant dans l’animation intelligente de la composition, dans l’accentuation variée des figures, dans les antithèses nuancées de la coloration, des moyens durables d’expression. Tous deux ont des âmes de poètes ; tous deux ont des yeux de peintres ; leurs peintures, à tous deux, sont justement regardées et discutées. Qu’ad-viendra-t-il de M. Henri Martin ? Non moins que son conscrit déshabillé, grand dadais, gauche et dégingandé, qui marche, les bras ballans, dans un désert de sable (pourquoi le désert ? ), poursuivi par quatre dames des Folies-Bergère ou des environs, guidé par une demoiselle volante, en robe blanche, de l’armée du salut, M. Henri Martin se trouve, comme artiste, dans une passe périlleuse. Derrière lui, les Vices, c’est-à-dire le peinturlurage des affiches, avec ses silhouettes scabreuses, ses papillotages incohérens, entrevus à travers les brumes parisiennes, devant lui, la Vertu, c’est-à-dire la nature, saine et ferme, ce qui est et ce qui vit, ce qui donne au peintre des moyens sûrs d’exprimer sa pensée. M. Henri Martin ne s’est pas encore décidé à suivre cette dernière. Tant que ses allégories insaisissables, sous la poussière lumineuse qui les voile, ne voudront pas nous dire plus clairement si elles sont des créations originales et viables ou des réminiscences banales et vagues, nous