Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

violence et de la guerre. Le grand effort, l’effort très méritoire qu’a fait l’artiste pour accentuer, par un dessin vigoureux et savant, le caractère de ses chevaucheurs et les types de ses gisans, n’a pas suffi pour produire l’effet désiré ; on doit le regretter lorsqu’on constate le talent très réel que M. Fritel a dépensé dans cette œuvre de longue haleine.

Ce n’est pas à des sujets si terribles, ni de cette taille, que s’attaquent, d’ailleurs, les quelques artistes qui, comme M. Fritel, conservent encore le souci de l’exactitude dans la représentation plastique de la forme humaine et le goût d’une certaine grandeur virile dans cette représentation, le goût de ce qu’on appelait autrefois le style. L’indifférence ironique du public pour les études académiques, sans lesquelles ne s’est jamais formé et ne se formera jamais un peintre puissant, entraîne presque toujours ceux qui les pratiquent à chercher, dans l’emploi exclusif de la beauté féminine et dans le choix de sujets voluptueux, une sorte d’excuse à leur culte arriéré. Les bonnes études scolaires, portant sur la forme virile, comme l’Archimède, tué par le soldat, étendu sur le plancher, de M. Vimont, et l’Orphée perdant Eurydice de M. Deully, sont à peine regardées. Cet Orphée, tombé sur le bord du précipice, tendant vainement les bras vers sa maîtresse désespérée, n’est point brossé, il est vrai, suivant les procédés à la mode ; ce n’est point, pour cela, un morceau sans valeur. Il y a quelque mérite, en cette heure, à affirmer courageusement que ni David, ni Ingres, n’étaient les derniers des imbéciles, et M. Deully est de ceux qui n’hésitent pas, depuis plusieurs années, à se proclamer leur disciple. Sans doute, pour ramener à la vérité une génération égarée, il n’est ni nécessaire, ni juste, ni habile, de pousser l’esprit de réaction jusqu’à une sorte de fanatisme intransigeant, comme le fait, par exemple, avec une ténacité singulière, M. Lecomte du Nouy. Cet artiste, savant et habile, pour faire front aux novateurs, recule, sans hésiter, jusqu’aux froideurs les plus oubliées de la peinture académique ; ses figures, correctes, blanches et lisses, ont tout juste l’apparence de statues d’ivoire ; ses vrais ancêtres ne sont même pas parmi les classiques de France, mais parmi les classiques plus glacés du Nord, autour de Gérard de Lairesse et de Van der Werff. Son étude d’homme mort qu’il appelle « Mourir pour la patrie, » si l’enveloppe en était moins froide, serait, sans doute, regardée avec l’attention qu’elle mérite, pour la science qu’elle montre et le sentiment qu’elle exprime ; mais le dédain excessif qu’affiche M. Lecomte du Nouy pour l’harmonie des couleurs et pour les séductions de la brosse rend vraiment difficile la tâche de ceux qui voudraient rendre justice à son mérite réel et à ses inébranlables convictions.