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république. C’était compter trop sur la puissance de la logique, pas assez sur celle des habitudes. Il avait cru entraîner les conservateurs, il se trouva séparé d’eux. Seul, mais sans reculer, il attendait les siens : la mort vint la première, et ceux qu’il espérait réunir autour d’une doctrine ne furent nombreux qu’autour d’un cercueil.

L’idée semblait ensevelie avec l’homme. Bientôt elle ressuscita en un autre, tout différent du premier. Courageux aussi, mais d’un courage semblable aux poudres lentes, plus confiant en la continuité des efforts qu’en la violence des coups, lié par ses amitiés, ses origines, toutes les servitudes mondaines, aux monarchistes autant qu’attiré à la république par sa raison, conscient qu’il fallait même à lui des délais pour s’accoutumer à son sacrifice, et affermi dans ses instincts temporisateurs par l’échec de la tentative précédente, M. Piou, quand il conçut le dessein d’agir sur les conservateurs, se promit avant tout de ne jamais leur devenir suspect. Son premier soin fut de chercher discrètement autour de lui les hommes les moins éloignés de ses doctrines ; sa tactique, d’employer l’autorité conquise par lui dans la défense publique de l’ordre à incliner en silence ces esprits vers les solutions constitutionnelles. Tantôt s’avançant, tantôt reculant, il semblait mêler ses voies sans prendre de parti ; en réalité, il allait et venait de ses idées à ses troupes, résigné aux équivoques, à l’apparence d’un double jeu, et résolu à retarder par sa conduite sur ses désirs, jusqu’au jour où il aurait converti à ses désirs ses amis. Après deux ans, le jour est arrivé, et quarante députés de la droite ont il y a trois mois signé de leurs noms leur volonté de « fonder un parti conservateur dans la république. »

Sans doute, c’est peu de quarante sur cent soixante que compte l’opposition. Mais tous ceux qui n’ont pas suivi les constitutionnels ont-ils gardé l’immobilité de la droite hiératique ? Celle-ci a tenté d’opposer à la défection le symbole de la vieille loi, à la droite a constitutionnelle » la droite « royaliste. » Elle n’a pas rallié soixante vétérans. Le reste, sous le nom de droite « libérale, » vient de se placer à égale distance des deux autres. Deux influences contraires ont formé ce tiers-parti : des politiques encore ennemis du gouvernement ont espéré retenir autour d’un programme purement conservateur un groupe qu’ils voyaient attiré vers les constitutionnels, et des politiques déjà déterminés à accepter le régime, mais encore embarrassés par leur passé, ont voulu mettre un intervalle de décence entre le moment où ils criaient : « Vive le roi ! » et le moment où ils crieront : « Vive la république ! » Au total, le programme de la droite « libérale » est une victoire silencieuse