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république, et ils ne se sont pas mépris sur la raison profonde et simple de cette solidité. Ils ont constaté dans la démocratie cette croyance que les autres régimes sont établis pour la domination d’une classe, que la légitimité est le gouvernement des prêtres et des nobles, la royauté parlementaire le gouvernement de la bourgeoisie, l’empire le gouvernement de l’armée, que la république seule est le gouvernement du peuple ; que partout ailleurs le peuple est chez les autres, que là il est chez soi. Ils ont reconnu que le peuple l’aime par l’instinct de la propriété, comme le paysan s’attache à sa terre, avec le même orgueil, la même jalousie, la même férocité contre les voleurs, le même aveuglement sur les défauts de son bien, et qu’il souffre d’elle, sans se plaindre, ce qu’il ne tolérerait d’aucun maître. Si leur surveillance anxieuse n’ignorait pas les vices du régime, elle constatait en même temps qu’ils n’étaient pas poussés à l’extrême ; les rouages essentiels fonctionnaient ; la puissance militaire se rétablissait ; l’équilibre instable de la paix dans le monde durait sans se rompre ; la république avait mieux que de la sagesse, du bonheur ; et il leur fallait bien se réjouir comme Français qu’elle sût remplir les devoirs essentiels de tout gouvernement. Ils l’ont vue, il est vrai, s’en imposer d’autres, comme l’œuvre propre de la démocratie, et sous ce prétexte entreprendre un double combat contre la misère et contre la foi. Là même, ces fils de leur temps n’ont pas jugé tout condamnable. La menace des revendications sociales suffisait à d’autres époques pour unir en une résistance intraitable tous les conservateurs. Aujourd’hui, nombre de monarchistes, l’esprit équitable et le cœur détaché, jugent la richesse dont on les aurait cru les défenseurs aveugles. S’ils pensent que la propriété, fruit du travail, doit être individuelle comme lui, ils reconnaissent que le travail ne reçoit pas toujours sa part légitime de propriété. Personne ne condamne plus sévèrement le crime d’un état industriel où nul n’est traité selon ses œuvres, personne ne cherche avec plus d’ardeur sincère le remède. Mais comme ils savent d’où leur vient cette sollicitude pour le pauvre et de quelle source la pitié coule sur le monde, ils ne peuvent approuver ni comprendre l’autre ambition du gouvernement et tiennent la haine religieuse pour la plus funeste erreur de la république.

Avec la poussée des générations nouvelles, une nouvelle politique a paru. Pour elles, la monarchie est un deuil, non une foi, et elles ne comprennent plus l’héroïsme des âges où des vivans s’ensevelissaient dans la tombe des rois morts. Leur croyance dans la durée du régime leur a donné une lassitude infinie des vains combats. Disposées à s’exagérer plus qu’à méconnaître l’union du