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se prépare. Les désastres continus des monarchistes ont fini par accréditer même parmi eux l’opinion que lutter contre la république était s’obstiner contre l’inévitable. Et puisque tant de fidélité royaliste a servi seulement le parti révolutionnaire, la sagesse apparaît d’abandonner la monarchie qu’on ne peut sauver, pour sauver l’ordre qu’on n’a pas droit de laisser périr.

Au moment où se révèle cette disposition des conservateurs à tenter une conduite nouvelle, ou plutôt à reprendre leur rôle historique, il n’est pas inutile d’étudier quelles chances leur restent de réparer leur disgrâce, et quelles fautes menacent de les conduire par cette dernière route à un dernier insuccès.


I

Le temps instruit, dit-on, les hommes, surtout il remplace ceux qu’il n’a pas instruits : là est sa souveraine puissance.

Le parti monarchiste, en 1871, était formé de Français, nés, grandis, accoutumés à penser et à vivre sous la monarchie. Les uns continuaient à regretter les prospérités, la veille encore éclatantes, de l’empire ; les autres, restés fidèles à la maison d’Orléans, se sentaient en droit de compter sur les dons exceptionnels de ses princes ; les autres avaient connu la légitimité et retrouvaient dans le comte de Chambord la vision du roi très chrétien ; pour tous, la république n’était qu’un interrègne. Une politique inspirée par eux ne pouvait être autre qu’elle fut, et s’ils étaient seuls à la conduire encore, elle demeurerait la même. Les événemens les ont vaincus, non convaincus, à un âge où l’on cesse d’apprendre, où l’esprit comme le corps s’est fait ses habitudes, où l’on ne renouvelle ni ses amitiés ni ses idées, qui sont les amitiés de l’intelligence.

Mais ces hommes ne représentent plus que la vieillesse de leur parti, chaque jour emporte de leur nombre et de leur influence, et l’on peut douter si l’immobilité où ils s’enraidissent est encore la vie ou déjà la mort. Aujourd’hui, la jeunesse et la maturité appartiennent à leurs fils. Quand la raison de ceux-là s’éveillait, la monarchie était détruite, les princes dans la tombe ou l’exil, seuls le nom, l’autorité, l’atmosphère de la république emplissaient la France. En vain la tradition tombait intacte des lèvres paternelles : tandis qu’elle berçait leurs oreilles comme une légende déjà vague du temps passé, le présent mettait sous leurs regards une perpétuelle leçon de choses. Ainsi, ils se sont peu à peu imprégnés de réalité. De ces réalités la plus certaine leur a paru la puissance de la