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LE
DEVOIR DES CONSERVATEURS

La vie des peuples, comme celle des individus, est faite de deux forces contraires : il faut à la fois qu’elle se perpétue et qu’elle se transforme. Dans toute société, deux sortes d’hommes se trouvent, entre lesquels la nature semble avoir partagé l’intelligence de cette double loi. Les uns, respectueux de ce que le temps a créé, redoutent l’inconnu ; les autres voient surtout le mal de ce qui est, et le bien de ce qui pourrait être. Et tandis que l’immortel antagonisme de l’esprit révolutionnaire et de l’esprit conservateur se dispute la maîtrise du monde, leurs triomphes successifs et leurs transactions inévitables donnent aux sociétés l’ordre dans le mouvement.

A travers la diversité des âges, des races et des circonstances, cette lutte se perpétue avec les mêmes phases. Comme les conservateurs tiennent à l’héritage du passé moins encore par raison que par instinct, ils ne choisissent guère, tout leur est bon à garder, les institutions que le temps consacre, les abus qu’il aggrave ; ainsi l’excès de leur principe prépare la ruine de leur gouvernement. Vainqueurs, les révolutionnaires en changeant de place ne changent pas de nature, et leur nature les voue à une inquiétude sans repos : quand ils ont achevé les réformes désirables, ils s’attaquent aux institutions nécessaires, et, sous prétexte de rendre la société parfaite, finiraient par la détruire. C’est alors que les conservateurs ressaisissent l’avantage. Leur caractère, survivant à