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le demandez point ; ce sont là des renverses de l’âme dont le secret nous échappe, ce n’est pas nous qui décidons notre destinée à de pareilles minutes. Je sais seulement que j’obéis comme un automate quand, à notre arrivée sur le port, mon guide me dit : — « Viens ; je t’apporte la paix, je t’emmène dans la paix ; » — quand il me poussa sur un bâtiment qui levait l’ancre et faisait voile pour Antioche. Je n’ai qu’une mémoire confuse de ces journées en mer, j’ignore quel en fut le compte ; il m’en resta longtemps la sensation d’une chute dans le vide, d’un abattement secoué de révoltes, calmé par la bonne parole qui descendait sans relâche de la bouche amie. Je ne retrouve des souvenirs précis et apaisés qu’à partir de notre débarquement à Séleucie, et surtout à partir de ma présentation à l’église d’Antioche.


V

… Aujourd’hui, catéchumène depuis trois années, je relis avec confusion ces aveux, tracés à l’instant douteux où je dépouillais péniblement le vieil homme. Comme il me tenait encore ! Tout est duperie ou mensonge dans les lâches complaisances de cet écrit, tout y est infecté par la lie d’un esprit orgueilleux et d’un cœur empoisonné. Je l’avais recherché pour l’anéantir, cet écrit de perdition : non, je me ravise, je le garderai pour me remémorer ma honte ; et aussi parce que le Seigneur peut en faire un instrument de salut pour une âme.

Mon père spirituel disait bien : il m’a emmené dans la paix, dans la lumière. Mes yeux, à peine dessillés lorsque j’abordai en Syrie, se sont ouverts à la vraie clarté. Je ne regrette rien de mon inutile et douloureuse vie d’autrefois ; ni les arts et l’éloquence, jouets de l’âge mûr qui succèdent aux jouets de l’enfant, tout aussi puérils que ces derniers pour le serviteur des vérités éternelles ; — ni le savoir humain, dont les arguties ont retardé en moi l’action de la grâce : misérable savoir, qui ne fournit pas les seules connaissances nécessaires à la félicité ; — ni ce que vous appelez l’existence honorable et glorieuse, parade où les esclaves du péché se déguisent en hommes libres. Qu’il y a plus de vraie noblesse et de liberté dans l’humble société des chrétiens ! C’est le beau nom que notre église d’Antioche a consacré la première, tout récemment, et qui désignera désormais la multitude croissante des disciples du Christ. Rien de touchant comme notre communauté de frères et de sœurs, image terrestre de la cité céleste où nous aspirons. Chacun