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utile ou nuisible dans la quantité où cette substance est susceptible de se mêler et se combiner avec ses tissus superficiels. De même dans l’air que nous respirons, le poumon ne choisit pas les gaz indispensables à la vie et ne rejette pas les autres. S’il n’absorbe pas l’acide carbonique, s’il absorbe à peine l’azote, c’est que le sang, comme tout autre liquide, a pour chacun de ces gaz une puissance de dissolution définie en vertu de laquelle il laisse échapper l’acide carbonique qu’il contient, prend au contraire à l’air des bronches une partie de son oxygène, et laisse l’azote à peu près intact.

C’est également en raison de la constitution moléculaire des parois de la racine et surtout des cellules extrêmes de leur chevelu, que les plantes absorbent tels ou tels principes minéraux, et que ces principes à leur tour, entraînés dans le mouvement moléculaire vital, le favorisent, l’entravent ou le modifient de certaine façon et finalement provoquent un changement sensible dans l’aspect de la plante.

Il semble que cette influence directe, immédiate de la constitution moléculaire sur la forme des êtres vivans s’accuse mieux dans les végétaux, mais c’est peut-être pour ne pas l’avoir recherchée chez les animaux avec autant de soin. Certaines pratiques bien connues des horticulteurs nous montrent avec une évidence singulière cette subordination des caractères extérieurs à la composition chimique de la matière vivante. Voici des pétunias dont on veut faire varier le coloris. On coupe une partie des fleurs avant que le pollen soit tout à fait mûr, on les place sous une bâche au soleil ; puis seulement alors on féconde artificiellement avec le pollen mûri dans ces conditions spéciales, d’autres fleurs laissées sur leur tige et dont on recueillera la graine. Le mouvement nutritif dans les organes de ces fleurs cueillies, ensoleillées, ne s’est plus accompli dans les conditions normales, la vie s’est maintenue puisque le pollen arrive à maturité ; mais ce pollen n’est plus le même, il a contracté des vertus particulières dont l’effet sera d’imprimer aux fleurs sorties de cette fécondation anormale un coloris inconnu jusque-là.

Sans même recourir à des artifices comme celui qui impose au pollen des pétunias une chimie nouvelle, celle-ci va d’elle-même se manifester dans une foule de cas. On a planté toutes les graines venues sur la même plante en ayant soin de choisir une espèce apte à varier, cyclamen, chrysanthème, primevère, dahlia, etc. ; si l’on prend soin de noter les individus qui dès le premier temps après la germination présentent une apparence spéciale dans leur port, dans leur feuillage plus hâtif ou plus retardé, on verra la fleur de ces individus anormaux se colorer d’une autre teinte que celle de la généralité du semis obtenu. Que si la fleur d’un d’eux a cependant la couleur commune, il suffira de la laisser grainer, et