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l’encyclopédiste chrétien. C’est un mouvement moléculaire qui échappe à nos yeux dans la profondeur de l’être et ne se traduit à nos sens que par ses résultats.

Déjà on peut saisir quelque chose comme la première ébauche de cette notion positive chez un autre écrivain religieux, Fénelon, qui a ici tout l’avantage sur Bossuet. Les pages de biologie que ce dernier introduit dans son Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même (1675-1680) à l’usage du Dauphin sont un assez piètre morceau. Au contraire, le chapitre où son rival aborde les mêmes sujets dans le Traité de l’existence de Dieu, écrit, il est vrai, trente ans plus tard, suffirait presque à placer Fénelon au rang des précurseurs de la physiologie moderne. « Qu’y a-t-il de plus beau qu’une machine qui se répare et se renouvelle sans cesse elle-même… L’animal met au dedans de son corps une substance qui devient la sienne par une espèce de métamorphose… L’aliment, qui était un corps inanimé, entretient la vie de l’animal et devient l’animal même. Les parties qui le composaient autrefois se sont exhalées par une insensible et continuelle transpiration. Ce qui était il y a quatre ans un tel cheval n’est plus que de l’air ou du fumier. Ce qui était alors du foin ou de l’avoine sera devenu ce même cheval si fier et si vigoureux, du moins il passe pour le même cheval, malgré ce changement insensible de sa substance. »

On ne saurait plus nettement exposer le phénomène de la nutrition qui est la base même et le fondement de la vie. Nous ignorons à la fréquentation de quels savans, de quels médecins, l’archevêque de Cambrai avait puisé ses notions si précises du mouvement vital. Peut-être dans des entretiens avec Fagon[1].

Le mouvement qui constitue la vie est un mouvement intime, profond, invisible, incessant, tout à la fois de combinaison et de décomposition. La matière vivante naît sans cesse et meurt sans cesse, se forme et se détruit tout en même temps. C’est en ce sens que Claude Bernard avait pu dire que la vie n’est qu’une mort constante.

Tous les corps liquides ou gazeux portés au contact de la substance vivante et qu’elle peut dissoudre, la pénètrent, se mêlent à elle, puis, entraînés dans le tourbillon, cessent pour la plupart d’être eux-mêmes, se transforment, entrent dans des combinaisons nouvelles qui n’existaient pas en dehors de l’être, mais qui à leur tour

  1. Dans son exil de Cambrai, Fénelon connaissait un médecin, Aimé Bourdon, et le tenait même en haute estime. Il soignait Mme de Montbron, et Fénelon recommande constamment à celle-ci de suivre ses conseils. Bourdon avait publié un petit traité d’anatomie, ouvrage sans valeur et qui ne nous donne pas une bien haute idée de l’homme. Mais on voit, d’autre part, par une lettre de Fénelon au marquis (Fanfan), du 20 août 1704, qu’il avait conservé de bons rapports avec Fagon : « Je voudrais. écrit-il au marquis, que vous puissiez faire dire mille choses pour moi à M. Fagon et lui faire demander conseil sur Barèges, où il a été autrefois avec M. le duc du Maine. »