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idées, s’arrête à la désignation pompeuse de Chaos Protée. Nous appelons aujourd’hui ces êtres des amibes. Quant à cette multiplication si simple par division, qu’avait observée Rœsel, on peut la provoquer et sectionner l’amibe en deux, chaque portion d’elle-même étant apte à se faire indifféremment surface ou profondeur, partie traînante ou partie entraînée, mobile et sensible tout à la fois. Car l’amibe choisit sa direction et saura trouver ou plus de lumière ou plus d’obscurité selon ce que nous pouvons appeler ses aspirations, puisqu’il s’agit, en définitive, d’un être vivant.

Il y a quelques années, un savant allemand aux conceptions toujours larges, mais trop souvent téméraires, crut découvrir que sur le fond entier des océans s’étale une sorte d’amibe immense, couvrant ainsi de sa substance sensible et vivante une portion de la planète. Les zoologistes ont souvent ce travers de commencer par nommer avant d’étudier, et M. Haeckel appela cette gelée où il croyait avoir retrouvé en quelque sorte la première ébauche de la vie, du nom de Bathybius, l’être de l’abîme. Tout, malheureusement, dans cette révélation si intéressante, n’était qu’erreur : quelques traînées de mucus accrochées aux dragues avaient enflammé l’imagination du professeur d’Iéna.

Si le bathybius n’existe point, il n’est pas besoin cependant de microscope pour assister au spectacle d’un être vivant volumineux qui va, vient, se meut et se déplace, bien que dépourvu comme le protée microscopique de toute forme définie. Quand les tanneurs retirent des cuves les peaux mises en préparation, ils font, avec le tan qui a servi, de grands amas où une foule d’insectes et d’êtres de toute sorte viennent chercher leur existence. Si on éventre au printemps une de ces buttes de tannée, on découvre aussitôt çà et là des filamens irréguliers d’un beau jaune d’or, mais qui sont mous, muqueux. Regardez-les et vous verrez qu’ils se déplacent, s’écoulent à la manière des amibes. Ils semblent dans la masse du tan se chercher les uns les autres, car l’été, après quelque pluie d’orage, nous les verrons se réunir, puis surgir au dehors sous la forme d’une sorte de gâteau jaune, large et épais comme les deux mains, que les botanistes ont appelé du nom grec de myxomycète, c’est-à-dire champignon muqueux.

Détachez une partie de cette masse, placez-la sur un tesson, vous la verrez comme l’amibe étendre devant elle des expansions rameuses, y passer tout entière ; vous la verrez s’étaler ou revenir sur elle-même en bosselures changeantes auxquelles succéderont bientôt de nouveaux étalemens.

Nous voilà donc en présence d’êtres vivans sans forme, sans organes, composés uniquement d’une substance opaque, fortement colorée chez les myxomycètes, mais transparente comme le cristal