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rue Lhomond, mettaient au jour une pétrification étrange, telle qu’on n’en connaissait point de pareille et dont la nature reste encore mystérieuse. On l’a rapprochée des algues, mais on peut y voir également la dépouille d’un être bien supérieur en organisation.

Les anciens eux-mêmes, s’ils n’avaient point notre savoir pour interpréter la véritable nature des fossiles, n’hésitaient pas du moins à reconnaître cette marque de fabrique que la vie imprime partout et toujours à ses œuvres. La science d’alors ne donnait aucun moyen de discerner dans les ammonites la coquille d’un animal voisin des seiches et des calmars. Mais on eut du moins le sentiment très net que cela avait vécu, et par analogie on croyait y voir des cornes d’animaux conservées par la terre.


II

La forme cependant n’est pas un attribut essentiel de la vie. Il existe des êtres vivans dépourvus de forme définie, comme il existe des substances chimiques qui ne cristallisent point. Le microscope nous révèle, dans certaines eaux stagnantes, la présence de petites masses comme gélatineuses qui se déforment sans cesse et se meuvent. On voit une partie de la masse s’allonger comme un pied qui s’avance. Puis l’être tout entier semble passer dans ce prolongement gonflé en proportion. Une autre expansion naît sur un autre point, et la goutte visqueuse, sans cesse déformée, semble s’écouler lentement. Si parfois elle rencontre quelque débris végétal, elle l’enveloppe, et celui-ci bientôt subit une véritable digestion. Le résidu est rejeté par un point quelconque de la surface comme il avait été absorbé.

La découverte de ces êtres au siècle dernier, — alors que la biologie était encore trop peu avancée, — n’eut pas tout le retentissement qu’elle méritait, peut-être parce qu’elle n’est point due à un naturaliste de profession, mais à un amateur, à un peintre qui avait pris goût à l’étude des animaux en les dessinant. Il s’appelait Rœsel de Rosenhof. Il a publié un livre dont le titre pourrait se traduire : Récréations entomologiques. Rœsel a d’ailleurs, bien observé l’être qu’il appelle le Petit-Protée, il l’a vu changer de forme et même se segmenter pour donner deux individus indépendans semblables au premier. Il en a fait aussi d’excellens dessins qu’il grava lui-même. Le dernier volume des Récréations avait paru en 1755. Cinq ans plus tard Linnæus, dans la 10e édition de son Système de la nature, renchérit sur Rœsel et désigne l’être étrange « plus inconstant que Prêtée lui-même, » Proteo inconstantior, sous le nom de Volvox Chaos ; mais dans une édition suivante il revient au premier nom et, le combinant à ses propres