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le séparait du maître, qu’à la condition de devenir lui-même un facteur économique et politique important. C’était vers ce but que tendaient donc tous les efforts des réformateurs. La cessation de la transportation criminelle avait été leur premier succès ; l’obtention d’une constitution parlementaire leur concédant un gouvernement fondé sur le suffrage populaire, avec un exécutif responsable de ses actes devant le parlement et les électeurs, était l’objet de toute leur ambition maintenant. Ils auraient peut-être attendu encore longtemps, si un événement remarquable n’était venu tout à coup changer la face des choses et bouleverser le système grâce auquel s’effectuait lentement la colonisation de l’Australie. La découverte de l’or simultanément à Bathurst et dans le district de Port-Phillip, qui venait alors de prendre son essor politique et formait une province indépendante de la colonie mère sous le nom de colonie de Victoria, apportait dans la constitution sociale de l’Australie un changement aussi complet que soudain. En quelques années, la population des deux grandes provinces se vit quadruplée par l’arrivée d’émigrans accourus des quatre coins du monde, attirés par la fièvre de l’or vers ce pays jusqu’alors presque ignoré.

Appartenant en grande majorité à une classe dont les idées politiques sont caractérisées par un libéralisme extrême, pour ne pas dire plus, ils se trouvèrent dès les premiers jours en conflit ouvert avec l’autorité. La colonie de Victoria n’avait pas encore cessé d’être administrée directement par la métropole, que les idées républicaines y avaient fait des progrès remarquables. Les mineurs, révoltés contre les exigences d’un gouvernement qui, fidèle à son vieil instinct commercial, cherchait à prélever sur leur industrie une commission exorbitante, proclamaient déjà la république victorienne, et leur chef, Peter Lalor, plantait sur la barricade d’Euréka le drapeau de la Croix-du-Sud. Cet homme, dont la tête fut alors mise à prix, est mort il y a quelques années après avoir occupé pendant longtemps l’honorable position de speaker (président) de l’Assemblée législative de la colonie dans laquelle, au début de sa carrière politique, il avait été condamné comme rebelle. Ces velléités d’indépendance furent sans doute promptement réprimées, car l’administration métropolitaine avait la force militaire à sa disposition, mais le gouvernement dut cependant mettre les pouces et diminuer considérablement la taxe exorbitante dont l’exaction avait été la cause de la révolte.

Mais l’organisation développée par l’administration impériale fut bien vite engloutie dans la colonie de Victoria, sous le flot de cette émigration qui introduisait des élémens nouveaux, vigoureux,